Précédemment dans Manga Tourniquet


Au sommaire de ce 3e numéro de manga tourniquet, l’impitoyable survie du papier et de la créativité, l’enquête enfermée piégée dans la transpiration ronde, avec un peu de pétales de fleurs printanières tombant mélancoliquement dans le soleil couchant…

Gene Bride tome 3

Pour rappel, Gene Bride (Glénat) est un josei manga de science-fiction signé TAKANO Hitomi. Une science-fiction plantée dans notre quotidien. Ce tome 3 fait sauter un nouveau verrou, à moins qu’il nous enferme encore un peu plus dans ce monde inquiétant… On découvre de nombreuses choses étranges sur cette école étrange… Ecole ou prison ? Ichi mène l’enquête avec Masaki, et tombe sur une vieille connaissance… Comment pourrait-on l’appeler, ce loustic ? Est-il sincère lorsqu’il dit avoir changé ?

La force de Gene Bride, c’est justement cette science-fiction plantée dans notre monde. Un monde sexiste que combat Ichi. On aura encore une belle vision des atrocités de nos sociétés, avec du sexisme et du harcèlement scolaire… Mais on aura aussi une lumière, une vraie, on l’espère. Car on n’est pas obligé de répéter les erreurs du passé. Au contraire, il faut combattre les préjugés pour vivre ce fameux « vivre ensemble » dont on parle tant. C’est le combat d’Ichi. Un combat pour elle, mais aussi pour Enami… La retrouvera-t-on un jour ? Ce josei manga, surprenant à plus d’un titre, est terminé en 4 tomes. Surprise et tremblements. Le dernier tome risque donc d’être riche en révélations.

Losers, chroniques d’un magazine légendaire – tome 1

1965. Le Japon est à l’aube de son « miracle économique », comme on l’a nommé par la suite. Exsangue au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le pays se reconstruit à marche forcée. Entre 1955 et 1973, sa richesse galope à 9,1 % par an. +22 % d’exportations, +13 de PNB (produit national brut). Une époque faste, mais avec quelques accidents de parcours. L’été 1964 s’accompagne de tassements dans la production. Les prix à la consommation augmentent de 2 % en 1965. La consommation baisse. L’emploi dans les industries manufacturières, déjà en essoufflement en 1964, baisse de 0,5 % en 1965. C’est peu, mais assez pour inquiéter une population qui peine déjà à finir ses fins de mois.

Allez parler du miracle économique à Fumito Shimizu, dit « Bunjin ». Le rédacteur en chef pour le magazine Manga story, de la modeste maison d’édition Futabasha, cherche un hit manga pour survivre. Si, à l’époque le manga est destiné aux enfants, Bunjin est sûr que le genre peut séduire les plus grands. Il trouve enfin sa « révolution » en un certain Kazuhiko Katô, le futur « Monkey Punch ».

Sorti pour les 50 ans de Futabasha, Losers… est à découvrir chez Akata, dont nombre de titres proviennent de Futabasha. Créé par YOSHIMOTO Koji, le manga retrace un pan de l’histoire de la maison d’édition, et de tout un pan du manga. Si certains regrettent un dessin un peu vieillot, d’autres saluent le travail sociohistorique. Il ne faudrait certes pas passer à côté de cet instantané du Japon, qui nous en dit long sur la société de l’époque.

Une société, une époque

Pour sa révolution du manga, Bunjin compte sur les femmes sexy. Le corps des femmes serait un objet servant à vendre du papier. Bien sûr, pas question d’analyser le sexisme en occultant le contexte social. Et en même temps, il ne faudrait pas tout accepter au nom d’une « époque ». Car, « époque » est neutre. Comme le temps. On le pense long ou court, on croit le gagner ou le perdre. Mais le temps est neutre. Qu’est-ce qu’une époque ? Ce sont plutôt les gens, qui font l’époque.

La vision des personnages féminins de cette époque en dit long sur la place des femmes dans la société. Pour elles, le fameux « miracle économique » se passe dans la maison, et aux fourneaux. L’homme travaille, la femme festoie dans les casseroles grâce au progrès technique électroménager. Le modèle familial se recompose sur la fameuse « famille nucléaire » : 2 générations dans le logis et non plus 3, comme à l’époque… Mais pour l’instant, on galère à sortir ses planches. Loin du rêve de la vie d’artiste, le manga dépeint le dur labeur pour une miette de pain. Les jeunes auteurs travaillent dans des conditions très difficiles et ne sont surtout pas mangaka à plein temps. Pas encore…

Asakiyumemishi – Le Dit du Genji tome 1

Japon, XIe siècle, époque Heian.

Grand classique de la littérature japonaise, Le Dit du Genji est un roman-fleuve de SHIKIBU Murasaki. L’autrice retrace la vie de l’insaisissable Prince Genji qui, par sa beauté, sa sagesse, sa maîtrise des arts et des affaires, parvenait à séduire quiconque croisait sa route…

1979. L’autrice YAMATO Waki adapte le célèbre roman en manga. Asakiyumemishi (Kôdansha) connaît un succès fulgurant. Vendu à plus d’un million d’exemplaires, il connaît plusieurs rééditions. Panini a publié la dernière réédition en date, sortie en 2021 au Japon. 7 tomes poétiques, pour découvrir le destin tumultueux du fabuleux Prince Genji.

Un jour à la Cour, à l’époque des plaisirs

L’Empereur s’éprend de Kiritsubo, l’une de ses épouses secondaires. Il a bien une épouse principale, la Dame du Kokiden, qui lui a déjà donné un héritier… mais seule compte Kiritsubo. La favorite donne aussi un fils à l’Empereur… Hélas, elle meurt. L’Empereur se console dans les bras d’une femme ressemblant à sa bien-aimée : Fujitsubo, qui n’a que 4 ans de plus que le jeune fils. Si l’épouse principale a un instant craint pour l’héritage, elle peut dormir tranquille. L’on a donné au jeune fils le nom de « Genji ». Un nom qui l’empêchera à jamais de briguer le pouvoir…Comblé, l’Empereur pense avoir trouvé en Fujitsubo, non pas une nouvelle mère pour son fils, mais une grande sœur. Car c’est bien l’impression qu’ils donnent, lorsqu’ils sont ensemble. Hélas, alors que Genji devient adulte, il ne voit en Fujitsubo ni une mère ni une sœur. Bien décider à tuer ses sentiments immoraux, il se jette dans les bras d’autres femmes et multiplie les aventures…

Complots, jalousies, mensonges, luxure, jeux dangereux… Ce premier tome du Dit du Genji nous présente une époque tout en apparat. Il faut cependant un peu de temps pour respirer à son aise. Car au début du manga semble régner une légère confusion. Les personnages, surtout les personnages féminins, se ressemblent un peu trop. Les noms, les positions, les titres prennent leur temps pour se placer dans la mémoire, et permettre une lecture fluide.

Epoque dévergondée

Heureusement, la fluidité vient vite, et on suit les aventures d’un Genji qui semble flotter dans ce monde dépravé. Son comportement choquera d’ailleurs à plus d’un titre. Aucun adolescent, aucun adulte n’irait courtiser une fillette. On éprouvera donc un malaise devant certaines scènes, certaines interactions immorales. Dans le récit, on trouve aussi des personnages qui remettent en question cette débauche. Manière, pour la romancière, témoin privilégié, de prendre du recul et de critiquer les dévergondages de son époque. Nous aussi, il faut alors prendre du recul.

La prise de recul nous permet d’entrevoir le gouffre sans fond dans lequel tombent ces personnages livrés à eux-mêmes. Ils semblent presque s’ennuyer dans leur luxe, et sombrent dans tous les excès de la jouissance. Il y a pourtant fort à faire, dehors. Les rares escapades dehors dépeignent le délabrement, la pauvreté, la misère. Mais la riche Cour de Heian patauge dans ses plaisirs. Il en ressort paradoxalement une profonde tristesse. On le voit à travers les aventures de Genji. Loin d’accumuler « des conquêtes », il est d’un sérieux tragique lorsqu’il s’agit d’amour. Il veut se perdre dans les bras de ces femmes pour vivre mieux, pour oublier, pour vivre enfin.

Ode à l’élégance

Le dessin de YAMATO Waki, la mangaka, est sublime. Les planches sont comme des peintures flottantes. La beauté de Genji est, sans surprise, particulièrement visible. Le faste de la Cour est aussi palpable. C’est un monde dans un monde que nous dépeint YAMATO Waki. Mention spéciale aux très élégantes illustrations en couleur. Encore une fois, on a cette impression de flottaison. Les mots eux-mêmes sont suspendus – la traduction de Miyako Slocombe nous permet de saisir la beauté de la poésie, le sens du verbe des personnages, de manière claire et intelligible. C’est limpide. La fin du tome 1 nous laisse sur un retournement de situation inattendu…

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