La vie de combat d’ISAHAYA Ichi
ISAHAYA Ichi, 30 ans, est journaliste. Ses journées sont faites d’interviews et d’articles à écrire, de rendez-vous à caser et d’actualités à suivre. Très active, la jeune femme commence ses journées par un footing. Occasion pour elle de s’extasier sur la beauté du monde… Si l’on occulte bien sûr pervers, harceleurs, sexistes et autres individus qu’Ichi doit croiser. Pas plus tard que ce matin, en plein footing. Le voyeur du coin. Ichi l’a signalé à la police. Hibiki, avec qui elle travaille, est consternée. Les deux femmes ont beau multiplier les signalements, le problème reste le même. Il s’exporte même au travail. Rendez-vous pris avec un réalisateur plus intéressé par la jupe d’Ichi que par ses questions.
« L’homme de ta vie »
La journée continue joliment, pourquoi devrait-elle s’arrêter en si bon chemin ? Nouvelle rencontre, nouvel homme. Un lourd ? Un harceleur ? Un harceleur condescendant ? Non. C’est « l’homme de ta vie ». Ou plutôt MAKUHITO Masaki, qui affirme être « l’homme de la vie » d’Ichi, et fait allusion à « Gene Bride ». L’effet qu’il attend n’arrive pas. Ichi ne se souvient de rien, mais la police voudra peut-être en savoir plus sur ce énième énergumène ?
L’énergumène Masaki lui offre des chocolats, en remerciement pour ce qu’elle aurait fait lorsqu’ils étaient adolescents. Mais Ichi ne se souvient toujours de rien. L’homme insiste pourtant, certain que ce que les 3 maigres informations qu’il lui a communiquées suffisent a rafistoler des années de mémoire. La journaliste pense plutôt qu’elle a tout intérêt à rayer ce type de sa mémoire récente. Mais la nuit, d’étranges images lui reviennent. Des souvenirs ? Des flashs ? Gene bride ?
Ichi et Masaki se revoient vite, et souvent. Finalement, l’homme est plus intrigant qu’effrayant. Un peu maniaque et étrange, mais sympathique. Il sait se montrer serviable, et découvre, en assistant Ichi au travail, le combat quotidien qu’elle et de nombreuses autres femmes doivent mener. Ichi, elle, semble se souvenir mieux, à moins que le mystère ne grandisse davantage… Une salle de classe, des chocolats, Masaki, une autre jeune fille, des cérémonies… Gene Bride.
Gene Bride, les origines
Manga de TAKANO Hitomi, Gene Bride est sorti en 2021 au Japon, chez l’éditeur Shodensha. Le manga est sorti en France chez Glénat en octobre 2023.
Le manga commence comme une tranche de vie. Mais tout de suite, la première page nous arrête. Le réalisateur amateur de jupes tutoie Ichi alors qu’elle le vouvoie. Il emploie d’emblée un ton faussement familier et ne parle que de la vie privée de la journaliste et de son physique. Elle aura l’occasion de le recroiser, et il aura une nouvelle fois l’occasion de causer fanfreluches. Où est donc passée la jupe ? Il faut croire que le tissu lui a fait forte impression…
Le même journaliste est pourtant submergé par l’émotion lorsque Masaki, qui accompagne Ichi dans son travail, ce jour-là, se lance dans un déluge d’analyse cinématographique. Ichi aussi a analysé cinématographiquement lors de l’entretien. Mais le réalisateur ne se souvient que de sa jupe.
Sexisme quotidien
Dans son manga, TAKANO Hitomi nous montre tous ces « petits » instants de sexisme quotidien. Des instants qui n’ont rien de « petits », mais qui passent presque pour l’être, aux yeux d’une société qui les invisibilise.
Ichi voudrait bien vivre et travailler comme tout le monde, sans modifier X fois son parcours de running parce qu’un pervers la traque. Et que dire de ces ambiances étranges sur le lieu de travail ? Car une interview dans une salle de conférence, un café ou un restaurant est un lieu de travail. Le journaliste travaille en interviewant. L’invité le fait aussi en répondant, ou ne le fait pas, mais c’est son affaire. Une affaire qui ne devrait influer en rien sur l’activité d’Ichi.
Une journée avec Ichi
L’autrice, TAKANO Hitomi, intègre par petites touches ces aberrations qui bouleversent la journée. Pas le temps de s’appesantir sur la situation. Il faut se remobiliser pour continuer la journée. Autre agression, autre situation dérangeante. Mais pas le temps de débriefer, on verra le soir. Le soir, nouveau stress à cause d’un regard mal placé, d’une parole malveillante. Masaki réalise que le quotidien d’Ichi est tout sauf reposant. Qu’un mot anodin pour lui ne le sera pas du tout pour elle. Qu’il lui faut sans cesse faire attention.
Or, les remarques insidieuses et sous-entendus déplaisants pleuvent. L’attitude de certains hommes change radicalement lorsqu’ils ont affaire à une femme. Ichi le ressent, ça l’énerve, et on la comprend. L’actualité de ces dernières années, notamment avec #MeToo, a libéré la parole sur le harcèlement auquel les femmes sont confrontées sur le lieu de travail, dans la rue, au sein du foyer, partout. La bataille continue en politique, où des hommes entendent maintenir le conservatisme.
Discriminations : le combat continue
D’après le collectif féministe Les Glorieuses, en France, les femmes travaillent gratuitement depuis le 6 novembre. La date est bien sûr symbolique. Si la méthode de calcul et les chiffres retenus sont nuancés, notamment par l’INSEE, (Institut national de la statistique et des études économiques), le fond est le même.
Une affaire de choix ?
On pourrait penser que tout n’est qu’affaire de choix. C’est d’ailleurs ce que soulèvent d’autres analystes pour nuancer la thèse des Glorieuses. Mais choisit-on vraiment ? Certes, on vante et on aspire à vivre dans des sociétés méritocratiques, ou chacun pourrait gravir les échelons grâce à son seul mérite, où l’origine socioprofessionnelle des individus et leur lieu d’habitation ne conditionneraient en rien leur parcours scolaire et universitaire.
Mais l’école, les écoles reste un haut lieu d’inégalités sociales, malgré de nombreuses politiques publiques et réformes de l’Education nationale pour les atténuer. Faut-il alors jeter l’éponge et conclure que tout n’est que reproduction sociale et déterminisme social ? Le déterminisme social est un concept sociologique d’après lequel le devenir d’un individu se détermine en partie dans le milieu dans lequel il grandit. La position sociale d’un adulte se déterminerait à partir du milieu socio-économique de ses parents. Le sociologue Pierre Bourdieu est notamment connu pour ses travaux sur le déterminisme social, et sur l’école et les inégalités sociales.
A partir de la famille…
Ces scènes banales de mère qui fait et sert à manger pendant que le père et les enfants sont assis ont traversé les siècles. Elles inondent les films, les séries, les livres, les programmes jeunesse… Et elles laissent des traces bien réelles. Les inégalités sont là.
Les femmes sont plus souvent confrontées à la double journée de travail. Elles s’occupent de la maison, des enfants, pensent pour deux ou 5, tout en devant carburer au travail. Elles sont davantage sollicitées pour tout ce qui concerne les enfants (visite chez le médecin, etc.). D’où l’appel des Glorieuses et d’autres mouvements pour une meilleure répartition des tâches dans la famille et pour un vrai congé parental pour les deux parents. Comprendre : une implication encore plus grande des pères, dans le foyer.
…de l’éducation
Pousser une fille vers le littéraire et un garçon vers les sciences sous prétexte qu’elle est une fille et lui un garçon n’a pas de sens. Les filles ne développent pas « naturellement » des compétences supérieures dans tout ce qui touche à l’expression du langage. Ce sont plutôt les manières d’éduquer les filles et les garçons qui poussent davantage les unes à l’expression par le langage. A contrario, on entend trop souvent des parents sommer leur garçon de ne pas pleurer « parce qu’il est un garçon ».
Les larmes du garçon
Pleurer est un moyen d’exprimer une émotion. L’enfant a mal, se sent triste, ressent une émotion qu’il exprime par les larmes. Il pourra expliquer au parent les raisons de ses larmes, occasion de verbaliser et d’apprendre à mettre des mots sur ses émotions. Ce sont des moments riches, dont sont encore privés de nombreux garçons, parce qu’ils sont des garçons. Le « Ne pleure pas, tu es un garçon » coupe progressivement le garçon de toute une palette d’émotions. Pleurer est pourtant naturel. Le garçon voit d’ailleurs d’autres personnes pleurer.
Les parents interdisant à leur garçon de pleurer estiment souvent que les larmes sont un signe de faiblesse. C’est complètement faux. C’est même le contraire. Apprendre à exprimer ses émotions rend plus fort. Cela permet de les canaliser, de les apprivoiser, de mieux se comprendre et de comprendre les autres, de développer son empathie, son écoute…
De plus, les parents confondant larmes et faiblesse apprennent à leur garçon à mésestimer, voire mépriser la sensibilité. Puisqu’ils ne peuvent pas pleurer et que les filles peuvent, c’est donc qu’elles sont faibles, qu’elles leur sont inférieures. C’est dans l’enfance que de nombreux schémas sexistes se construisent. Des schémas à démonter pour apprendre aux enfants à se respecter.
A bientôt, Ichi
Retour sur le manga Gene Bride qui se termine sur un nouveau mystère. Vivement la suite, prévue en février 2024.
Les infos en plus
Gene Bride tome 1, aux éditions Glénat.
Générique de début et de fin du Podcast : Hands of the wind, de Manuel Delsol.
Pour aller plus loin
Inégalités salariales : Les Echos, article du 6 novembre 2023
Inégalités salariales : L’Express, article du 6 novembre 2023