Une histoire d’Aujourd’hui

Fin du XIXe siècle – Angleterre. On l’appellera bientôt « l’époque victorienne ». Référence à la reine Victoria qui, en 1837, succède à son oncle Guillaume IV. Elle devient la reine du Royaume-Uni, l’empire le plus vaste du monde, à l’époque. Elle n’a alors que 18 ans, à l’époque, mais voit bien que le regard du peuple a changé. La monarchie a perdu de sa superbe. C’est le temps de la révolution industrielle. C’est le progrès technique, les mutations économiques. La vie est à la ville. La vie se construit au fil des jours, et les gens affluent pour trouver un travail, s’élever socialement, peut-être, devenir des petits et grands bourgeois. Et voilà que l’on s’oppose aux mesures de la reine, et voilà que l’on parle de démocratie. Cette chronique excentrique, cette histoire comique, les aristocrates n’en veulent pas.

C’est dans cette Angleterre en mutation que vit… Emma. Emma est une jeune femme de chambre, discrète, réfléchie et très professionnelle. Elle travaille pour Kelly Stowner, une ancienne gouvernante. Emma espère vivre ainsi, tranquillement, encore un jour de plus, encore un de plus… Tous les jours qui seront pour des « aujourd’hui ». Un jour pourtant, un jour banal, un « aujourd’hui », William Jones arrive et transforme tout.

« On ». Encore cette chose sans visage ni nom. On parle beaucoup, dans ce Royaume-Uni en transformation. On parle, on revendique. Mais les barrières demeurent. Les barrières, les murs, les forteresses, les moqueries sous le chapeau haut de forme, les cancans au fond du gosier. Le rang social, les aristocrates et les bourgeois, les bourgeois et les prolétaires. On ne se mélange pas encore. On ne se mélange toujours pas.

Et William a rencontré Emma.

Escalader les barrières

Héritier d’une riche famille bourgeoise, William se prélasse dans la cité londonienne en mutation. Il croit savoir et découvre qu’il ne sait rien ou qu’il sait à moitié, de travers, quelle est donc cette chose que l’on appelle « classes sociales » ?

Emma connaît bien les classes sociales et sait que son classement n’est pas le meilleur. Mieux vaut partir, quitter cette grande ville, quitter Kelly et les heureux souvenirs, broder une nouvelle histoire ailleurs. Voici Emma à bord d’un train filant, non pas vers la nouvelle histoire, mais vers de nouveaux souvenirs. Ceux de l’enfance. Ils sont pourtant bien tristes et cruels, mais où Emma pourrait-elle aller ?

Le trajet en train est long, assez pour faire pleuvoir les bavardages. Enfin, c’est plutôt Tasha qui bavarde. Emma parle avec modération. Elle n’a rien à dire. La vie est restée à Londres. Tasha, qui voyage dans la même cabine qu’Emma, est une pétillante domestique. Elle parle pour deux et jaquette à n’en plus finir, mais trouve Emma très intéressante. Pourquoi ne pas continuer la route ensemble, pour un jour de plus ou pour toujours ?

« Toujours », dans la vie d’un jeune riche, a parfois des allures de gouffre sans fin. Toujours dans les salles de réception, toujours dans les bals, toujours dans les danses, toujours le nez trempé dans les breuvages qui montent à la tête. William, bon fils, suit la voie paternelle. Cette voie ne l’enchante guère, mais a-t-il seulement le choix ? Son ami Hakim, riche prince libre et avant-gardiste, lui assure que oui. Mais les barrières des classes sociales sont si solides… Peut-on les escalader ? Aura-t-on le courage de les escalader ? Quel est l’intrépide qui se risquera dans l’aventure ?

Apprendre à danser

Emma regarde les barrières de loin. Les barrières tombent parfois d’elles-mêmes, dans une maison un peu isolée, aux normes bien différentes de la sévère cité londonienne. Les Mölders, ses nouveaux employeurs, sont parvenus à jongler entre les différents univers. Executer leur pas de danse dans les rassemblements mondains leur pèse, mais il faut bien s’astreindre à l’exercice de temps en temps, pour garder un pied dans cette vie-là.

William danse comme une marionnette désarticulée. William danse mal. Il n’aime pas la danse et déteste les bals. William vomit les cocktails. William veut être seul. Anachronique. Libre. Mais y’a-t-il seulement une place pour les jeunes révolutionnaires, dans un royaume muré dans ses coutumes ? Ce qu’il y a de terrible dans cette dictature du rang social, c’est qu’il y a, dans un même rang, des plus élevés, des nobles et des parvenus. Les riches et les riches, les aristos plus que d’autres, les parvenus, les miettes de pain.

La haute bourgeoisie est cruelle par nécessité. Elle suffoque dans les corsets aristocratiques et crache sur ceux d’en bas, les cireurs de chaussures et les raccommodeurs de souliers. Il faut bien quelqu’un pour la basse besogne. On cogne bien sûr les bourgeois pas assez nobles pour être aristocrates. Dix siècles de richesse ne suffisent pas à acheter un titre de noblesse. Alors on danse, que voulez-vous, on danse dans les corsets trop serrés et les souliers mal adaptés.

Mais William ne veut plus danser. Pas comme ça. Pas avec eux. Et tant pis pour la disgrâce. Tant pis pour les crachats et la ruine familiale. Il s’en va jeter tout ça dans le feu de la jeunesse égoïste et passionnée et insensée. Et tout ça pour quoi ? Pour ça ?

Non. Jamais.

Mais Emma veut bien apprendre.

A danser.

Emma

Emma, c’est l’excellent manga de MORI Kaoru paru en 2002 au Japon, chez l’éditeur Enterbrain. En France, le manga est tout d’abord sorti chez Kurokawa en 2007, avant d’être réédité chez Ki-oon, en 2012. En 2005, les studios TBS, Pierrot et Pony Canyon sortent l’adaptation anime du manga au Japon. Réalisé par KOBAYASHI Tsuneo, l’anime, nommé 英國戀物語エマ (Eikoku Koi Monogatari Emma) ; Victorian Romance Emma, est encore inédit en France.

L’Euphorie et la chute : les années 90

Tokyo a la tête dans les bulles. La capitale peut bien se permettre un petit verre. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, depuis la capitulation, elle se casse le dos dans les restructurations, se fracasse le corps au travail. Reconstruire le pays, vite ! Enlever la honte, cette crasse insupportable.

Ils y sont arrivés, les Japonais. Les autres sont envieux. D’autant plus que le Japon supporte scandaleusement les deux chocs pétroliers. Matsuri ! Matsuri ! La fête pour tous. Razzia sur les USA ! C’est que la première puissance économique mondiale est en difficulté. Le Japon, lui, affiche un excédent commercial insolent. Cap aux États-Unis ! On rachète à tour de bras, on investit. Au milieu des années 80, Honda s’implante déjà en Amérique du Nord et en Europe. En 1989, Mitsubishi Estate mange l’intouchable complexe Rockefeller. Sony engloutit Colombia – il avait déjà grignoté la maison de disques CBS. C’était l’apéro. C’est la liesse ! Tokyo s’étend, symbole de cette euphorie nationale. Matsuri pour tous !

Tokyo se réveille groggy. Les lendemains de fête font mal. Demandez aux résidents de la Maison Ikkoku. Pourquoi les Ichinose ne déménagent-ils pas dans un appartement ? Avec une salle de bains, quel luxe ! Madame Ichinose dira qu’elle ne veut pas tuer l’industrie locale des bains publics. Yûsaku dira ce qu’il voudra, personne ne le croira. Il menace de partir, mais s’enivre du parfum de Kyoko, lorsqu’il la croise au sortir des bains publics… Il n’y a bien que Kyoko Otonashi, la responsable de la résidence Ikkoku, pour apporter un peu de joie à l’étudiant au chômage, à l’étudiant fauché, à l’étudiant oublié de la croissance et de la fête.

Une histoire de crises

Hélas, la vérité est comme cette bulle qui a éclaté. Il n’y a plus rien. Plus de fêtes, plus d’argent, que des dettes et des espoirs détruits. La maison Ikkoku récupère les Japonais abandonnés sur le côté, expulsés de l’euphorie immobilière, jetés loin derrière le Japon qui avance, qui avançait, qui n’avance plus.

C’était une bulle, oui, et elle a éclaté, la mauvaise. Les prix s’envolent. La Banque du Japon tente d’éteindre l’incendie à coups de geysers. C’est la « crise de Heisei ». Oh ! Heisei signifiait pourtant : (ère de) « l’accomplissement de la paix ! » C’est plutôt l’horreur de la spéculation, les embrouilles politiques, les complots d’argent… Les banques ne suivent plus. L’emploi à vie ? Qu’est-ce donc que cela ? Réveil douloureux, pour les Japonais. Et les jeunes ? Ces masses d’étudiants, comme Yûsaku ? Ils rêvent toujours, mais le quotidien est dur. C’est la crise.

Peintures du quotidien

Les années où le Japon affichait une croissance insolente ne sont plus qu’un rêve douloureux. Prés de 10% entre 1965 et 1970 ! Encore 5% entre 80 et 82 ! Où sont donc passées les bulles ? Qu’on s’enivre un peu, rien qu’un peu, avec modération, c’est entendu. Matsuri, matsuri, où sont donc les fêtes et les jours heureux… ?

Un jour chez les Ichinose

Tout comme le jeune Yûsaku, monsieur Ichinose est représentatif de ces gens laissés sur le côté. Licencié, il cherche un nouvel emploi. Le voici traînant d’entreprise en entretiens d’embauche, avec sa démarche lente, son air fataliste, son dos vouté. Comme il semble faible et fatigué ! Rien à voir avec sa furie d’épouse, qui vide les bouteilles d’alcool, histoire d’oublier qu’il n’y a plus rien. Monsieur Ichinose préfère ressasser sa jeunesse autour d’un plat de ramen. C’était mieux avant ! On se marrait, au moins. Matsuri, Matsuri… Aujourd’hui, les entreprises ferment, l’emploi à vie est compromis. Monsieur Ichinose a du mal à saisir toutes ces mutations. Il est vieux : qui voudra l’embaucher ?

Buvons ! Madame Ichinose a peut-être raison. Avec l’insaisissable Yotsuya et la sulfureuse Akemi, elle anime la résidence, pour le plus grand malheur de Yûsaku. Les crises et les restructurations, ils s’en moquent, quoique… Madame Ichinose ne travaille pas, mais pousse son mari à se démener pour retrouver un emploi : comment paierait-elle son alcool, sans argent ? Comment oublierait-elle qu’il n’y a rien ? Comment ferait-elle oublier à son fils Kentarô que la vie est dure ? Car il y a un enfant, oui. Une nouvelle génération, qui regarde de ces grands yeux désabusés le monde joyeusement triste des adultes. Matsuri, matsuri, faisons des confettis avec les petites joies.

Jour et nuit chez Yotsuya et Akemi

Yotsuya est toujours de la partie pour une beuverie. Essayez donc de lui parler de modération. Il vous entraînera dans ses discours énigmatiques. Tout est énigmatique chez ce monsieur sans âge, pervers et voyeur de tous les côtés, qui enfile un imper suspect pour, dit-il « aller travailler ». Personne ne connaît son activité professionnelle. Son intérêt pour l’alcool, lui, est connu de tous ! Toujours embourbé dans les mauvais coups, il aime s’incruster dans la chambre du pauvre étudiant fauché Yûsaku, avec ses deux partenaires de beuverie, madame Ichinose et Akemi.

En voilà une autre qui travaille. Mais contrairement à Yotsuya, Akemi travaille vraiment, et peut le prouver. Poussez donc la porte du Chachamaru. La voici, au bar. On ignore pourquoi elle se sert un verre. Elle est censée servir les clients… Le patron s’agace. Elle l’envoie balader d’un geste de la main. Allons, allons, point d’emportement, les temps sont durs. On ne sait qui commande véritablement le bar. Akemi s’installe à la table de ses amis de la résidence. Lorsqu’ils ne sont pas fourrés avec leurs bouteilles dans la modeste chambre de Yûsaku, ils s’agglutinent au bar etfestoient trop fort. Matsuri, matsuri. C’est la crise, on oublie ses difficultés dans un bon verre, on enlève son costume de jour, on joue la nuit !

La tragédie sans fin de Yûsaku

Mais Yûsaku, le malheureux étudiant toujours au chômage, n’a vraiment pas la tête à se réjouir. Son diplôme pourrit dans la crise. Ses amis étudiants ont pourtant réussi à trouver un emploi, un vrai. Regardez donc Sakamoto. Souvenez-vous de Kozue. Comment font-ils ? Pourquoi sont-ils heureux ? Yûsaku le fauché jalouse ses camarades et perd en confiance. Loin d’attirer la compassion de ces voisins de la résidence, il ne récolte que leurs sarcasmes. Les voici qui s’infiltrent encore pour inonder la modeste chambre de l’étudiant sous leur mauvais alcool…

Heureusement, Kyoko, l’honnête responsable de la résidence, arrive pour chasser les terribles locataires. Yûsaku retrouve le sourire pour un temps, hélas, trop court. Comment ose-t-il nourrir de tels sentiments pour sa logeuse ? Comment oser l’inviter à sortir, alors qu’il peine à rassembler 5 yens pour se nourrir ? Personne ne veut l’employer. Yûsaku ne trouve des missions que dans d’obscurs bars et autres pachinko, les casinos du coin. Le nombre de « freeters », ces employés précaires cumulant les emplois à temps partiel, explose au Japon. On fait ce qu’on peut pour survivre.

Mais certains continuent de faire la fête comme dans les années 80. Ils n’ont pas besoin de travailler, et balancent au monde groggy leur armée de dents blanches. Le Japon est coupé en douze ou en mille. D’un côté, les rejetés de la maison Ikkoku, qui subissent la crise économique. Au milieu, les petits chanceux de la classe moyenne, comme Sakamoto et Kozue, qui ont décroché la médaille d’or, l’emploi, le CDD, que dis-je, le CDI ! Les voici fonçant sur la route de la joie, avec le mariage, la maison à crédit et l’enfant capricieux.

L’ascenseur de Shun

Au sommet de l’ascenseur social, la fête continue. L’ascenseur social est cassé ou n’a jamais existé. La méritocratie boit la tasse. MITAKA Shun est riche depuis les premiers rots. Il enseigne le tennis comme on pratique un hobby et possède une voiture, un luxe, en ces temps de crise ! C’est un bon parti. Un gendre idéal, comme on dit. Entre Yusuke et lui, deux galaxies et autant de problèmes… du côté de l’étudiant, bien entendu.

Car, alors que la crise économique frappe les comptes bancaires et les cœurs, le jeune Yûsaku, épris de sa logeuse jusqu’aux sourcils, ambitionne de vivre avec elle toujours, pourquoi pas, de se marier ? Le jeune Shun aussi se prend d’affection pour Kyoko.

Et Kyoko

Kyoko, jeune veuve au sang bouillant, qui n’entend pas du tout suivre le chemin qu’on veut lui faire suivre… Son histoire, elle l’écrira seule. Et tant pis pour ses parents, tant pis pour le monde patriarcal et ses prénotions. Kyoko mènera la vie qu’elle entend. Alors Kyoko se rebelle, revient en arrière, tempête, agace, culpabilise, jalouse, sourit, espionne, repense au passé, espère, hésite, rouspète, s’exaspère, souffre, repense au passé, minaude, boude, regrette, sourit, et fait tourner en bourrique le pauvre étudiant, déjà bien occupé avec ses malheurs. Lui-même est un puits sans fond d’hésitation, de maladresses, et a bien du mal à affirmer ses positions.

Il fallait bien un peu de romance pour réchauffer quelque peu cet instantané des années 90 au Japon. Les quiproquos et les petits tracas du quotidien se transforment en épisodes burlesques ou en feuilletons à suspense. Le ménage a trois devient parenthèse inconfortable ; c’est qu’il n’y a pas de place pour tout le monde. Mais on se serre quand même pour chasser la solitude, on essaie, on hésite, faire un choix, c’est aussi détruire. Matsuri, matsuri, la fête aujourd’hui, la fête pour la vie.

Maison Ikkoku

Hilarant et touchant, Maison Ikkoku, c’est l’instantané du Japon des années 90. Le manga est signé TAKAHASHI Rumiko. Publié au Japon chez la Shôgakukan en 1992, il sort une première fois en France, aux éditions Tonkam, en 2001, en 2007, puis en 2020, dans une « perfect édition ». Un anime réalisé par le studio Deen est sorti en 1986.

Pour en savoir plus sur le Japon dans les années 90, je vous conseille le livre Les Japonais, de NISHIMURA Karyn, et Histoire du Japon et des Japonais, de 1945 à nos jours (tome 2), O. REISCHAUER Edwin.

Et les roses et Versailles

S’ils avaient su, peut-être auraient-ils imploré de changer leur condition. Surtout, changer leur condition. 1755 était une année banale. Toutes les années sont banales, lorsqu’elles se vivent au présent. L’histoire ne les a encore marquées d’aucun sceau. Elles ne savent pas, elles ignorent, elles enfantent. En 1755, donc, un jour forcément ordinaires, car ignorant le futur, trois bébés naissent dans trois demeures différentes. Une fille, Marie-Antoinette, un garçon, Hans Axel. Le troisième enfant hurle si fort que son père le prénomme Oscar. L’enfant est pourtant une fille. Mais le père a décidé. Elle sera un garçon.

Histoire de Marie-Antoinette

Les trois enfants vivent conformément à leur rang. Marie-Antoinette, quatrième fille de François Ier de Lorraine, empereur du Saint-Empire romain germanique, et de Marie-Thérèse de Habsbourg, archiduchesse d’Autriche, vit dans la mollesse que permet son luxe. Pour son frère, le futur empereur Joseph II, Marie-Antoinette est une : « tête à vent »

C’est que, si l’enfant apprend vite, elle ne persévère pas dans l’apprentissage. L’Histoire voudra en faire une sotte et aura tort. Marie-Antoinette est d’une extrême finesse. Hélas ! Elle n’a pas hérité de la rigueur et de la sobriété de sa mère. Dans son château, bien loin des agitations du monde, elle ne vit que pour les plaisirs, et entend vivre ainsi pour le reste de ses jours. Mais sa parenté a une tout autre vision de sa destinée. Il faut impérativement réconcilier la France et l’Autriche. Un mariage scellera l’amitié retrouvée. Le 16 mai 1770, Marie-Antoinette épouse Louis XVI. Le traumatisme de la séparation d’avec les siens, l’émerveillement devant ce peuple qui n’est qu’amour et dévotion envers sa personne marque durablement cette jeune fille de 14 ans. A 14 ans, la vie de l’archiduchesse prend fin. Commence celle de la future reine de France.

Histoire de Fersen

Hans Axel Von Fersen est le fils aîné de l’homme le plus influent et le plus riche de Suède, le maréchal Frédérik-Axel Von Fersen. Illustre famille, grandes ambitions. Le jeune garçon se passionne, très tôt, pour les sciences. Les voyages forgeant l’expérience, l’Europe sera son école. France, Danemark, Angleterre, Italie… le jeune aristocrate excelle aussi bien dans les sciences (mathématiques, langues, droit…) que dans les arts militaires. Il s’illustrera aux Amériques, lors de la guerre d’Indépendance. Il mettra son savoir au service de la France, deviendra Colonel.

Mais pour l’instant, Fersen est un homme des plaisirs. Il est jeune et bien fait. Il s’amuse et festoie. De ces années de jeunesse insouciante, ses notes retracent les fêtes et autres bals dans lesquels l’aristocrate se rendait. C’est, d’ailleurs, dans l’une de ces festivités qu’il rencontrera Marie-Antoinette.

Histoire d’Oscar

Il l’appelle Oscar François de Jarjayes. Rêvant d’un fils, crevant pour cet être qui, enfin, ferait sa fierté, et garantirait la pérennité de son rang, le colonel de Jarjayes ne supporte pas le terrible mal qui tourmente les chromosomes familiaux.

Car enfin ! il ne peut s’agir que d’une épouvantable farce, car voici, le sixième – énième ! – enfant qui sort du ventre maternel est encore une fille ! Tant pis ! Le colonel élève Oscar comme un garçon, lui apprend l’art de l’épée. Il lui succédera à la tête de la Garde-Royale. L’enfant s’affermit dans sa position, passe ses journées à s’entraîner avec son ami André Grandier, fils de sa domestique. A 14 ans, Oscar François devient Capitaine de la Garde-Royale. Son rôle : protéger la jeune Marie-Antoinette.

Histoire d’André

Dans l’exercice de sa mission, Oscar pourra compter sur André. Bien qu’il ait grandi avec Oscar, André n’a aucun rang social. Condamné au silence, il aurait dû stagner dans le désert de sa condition. Son amitié avec Oscar est la première révolution. Car pour l’aristocrate, André est son ami, son égal. Chose impensable pour l’époque ! Si Oscar se satisfait pleinement de cette relation, les sentiments d’André sont plus troubles. Il n’ose nommer la sensation qui l’agite. Folie, indécence… ? Il tente, en vain, de calmer les passions de son cœur.

Histoire de cette Rose oubliée

Lui ne brille pas par sa présence. Il reste discret, sympathique, mais un peu ennuyant, peut-être ? Il est à l’image de ce que l’Histoire a retenu de lui. Ah ! Elle aurait pu féliciter cet homme, qui, contrairement à ses ancêtres –  à commencer par son grand-père, Louis XV –  est resté fidèle tout au long de sa vie. Elle aurait pu rendre hommage à cet homme humble, qui savait se remettre en question. Mais elle a préféré retenir sa démarche, maladroite et sans éclat, qui provoquait les moqueries de la Cour. Il était juste myope. Le pauvre n’a pu choisir son époque, le confort des lunettes et des lentilles de contact.

Petit-fils du volage Louis XV, Louis XVI (1754-1793) a subi, très tôt, la solitude. Orphelin dans sa jeunesse (son père décède lorsqu’il a 11 ans, sa mère, quand il en a 13), il reste profondément marqué par ces disparitions. Vient le tour de son fantasque grand-père Louis XV, qui succombe à la petite vérole. Nous sommes en 1774. Le nouveau roi n’a que vingt ans. De sa vie, il n’a, pour l’instant, retenu que les pertes et la tragédie. Et on lui demande de conduire tout un peuple. De le conduire, sans argent. Les caisses du royaume sont vides. Le roi est mort, vive le roi !

Ce Louis-là

Contrairement à son épouse, Marie-Antoinette, contrairement à la Cour, Louis XVI ne se passionne pas pour le faste. Ça aussi, il le paiera. La Cour lui reprochera toujours son attitude. Les choses militaires ne l’intéressent pas non plus. Les innovations technologiques : voilà ce qui le captive. Louis XVI est un homme instruit, n’en déplaise à l’Histoire. Il assouplit quelque peu l’Edit sur la police des esclaves, communément appelé le « Code Noir ». Etabli sous Louis XIV en 1685, le Code noir (dans sa première version) était une conception de Colbert, le contrôleur général des finances. Il était cependant déjà mort lors de la promulgation de cette première version.

Code noir

Accumulation de règles, il instaure les relations entre les esclaves assimilés à des « biens meubles », et les maîtres, qui se doivent de les instruire et de leur assurer le minimum vital (vêtements, nourriture, soins en cas de maladie). Bien entendu, personne n’est là pour contrôler ce qu’il se fait, et le sort des esclaves est bien pire que la pire des tragédies que l’on pourrait imaginer. D’abord destiné uniquement aux Antilles, le Code noir s’exportera dans d’autres colonies françaises.

Mais Louis XVI n’abolit pas le Code noir. Tout au plus exigera-t-il un contrôle plus strict des maîtres. Mais qui pour assurer ce contrôle ? Il ne faut pas non plus penser que ce Code allait de soi. En France, l’esclavage était interdit depuis le Moyen Âge. Mais il se pratique, au nom de la France expansionniste notamment défendue par Louis XIV, puis par Louis XV (qui promulguera une nouvelle version du Code noir). Contesté en métropole, l’esclavage est largement toléré sur les colonies françaises.

Il faudra attendre le 4 février 1794 pour voir le Code aboli. Mais là encore, qui pour assurer le respect de la réforme ? Dès 1802, Bonaparte, alors premier consul, rétablit l’esclavage et la traite des Noirs conformément aux dispositions antérieures à 1789. Le Code noir est rétabli. Il ne sera aboli qu’en 1848.

Retrouvez plus d’informations dans les liens ci-dessous :

Biographie de Colbert.

Bibliothèque Nationale de France (BNF) : le Code noir, version 1685

« Ce n’est pas Colbert le concepteur du Code noir qu’on honore » : entretien du journaliste François-Guillaume LORRAIN avec l’historien Daniel Dessert, spécialiste de la monarchie. Article paru sur LePoint.fr, le 15 juin 2020.

Une question de caractère

Louis XVI aurait pu discourir longtemps, si seulement on lui en laissait le temps. Mais sa grande timidité joue contre lui. Ses passions l’ont condamné : la chasse, l’artisanat… Ces excentricités ennuyeuses sont-elles comparables à l’art, le vrai, celui qui se pare de joyaux et ne dort pas de la nuit ? Personne ne l’a compris. Oh ! Il n’était pas parfait, ce roi, loin de là. Il a commis des erreurs ! On l’a vu avec le Code noir. On le voit avec les réformes qu’il n’applique pas. Ce sont les ambitieuses réformes ambitieuses de son ministre des finances, Turgot. Il y a pourtant urgence et péril. Les caisses sont vides. Louis XVI hésite. Le monarque traînera cette crise financière tout au long de son règne. Et pendant ce temps, On dit que la reine paresse dans les fanfreluches. Les caisses sont vides; les frasques de Marie-Antoinette ne passent pas.

Pourtant, jusqu’au bout, Louis XVI tentera de s’adapter à son époque. Il comprend le souffle révolutionnaire, finit par accepter la notion de citoyenneté. Mais il est trop tard. Le grondement populaire couvre déjà sa voix. Le tumulte révolutionnaire marche sur sa tête.

A la Cour de Versailles

La Révolution marque, pour l’Histoire, l’entrée officielle de la France dans l’ère des incertitudes. Mais le pays était gangrené, bien avant la Révolution ! Les dettes astronomiques de l’Etat ne sont pas nées en un jour. La Révolution et ses conséquences feront cependant naître un véritable traumatisme. Un roi, une reine seront décapités : crime impensable, à l’époque où le souverain était censé tenir son pouvoir de Dieu. Dieu seul pouvait donc le juger. L’ordre était ainsi fait, et ne devait pas changer. Mais tous ces gens oubliaient que s’ils avaient compris le poids et la responsabilité immense liée à ce pouvoir, ils se seraient mis au service du peuple. Ces gens oubliaient qu’ils n’étaient que des êtres humains; faillibles, donc, par nature, et portés vers le mal.

Souffrir pour l’histoire

La Cour de Versailles, c’est la grandeur de la France. Louis XIV a guerroyé pour avoir, lui aussi, sa vitrine internationale. A l’époque, le luxe ostentatoire est un mal prétendu nécessaire. On assoit le pouvoir d’un Etat dans l’or, dans les châteaux. Celui de Versailles aura coûté la vie de milliers de sujets. Rien n’était, ni trop affreux, ni trop indécent. Sur ordre du roi, la masse humaine travaillait et le jour et la nuit, était fouettée pour retrouver sa vigueur, et œuvrer, encore et toujours, pour sortir le château de Versailles de terre. Ce bijou artistique est, quelque part, couvert de sang. Il n’a aucun regard pour le peuple sacrifié. Il ne peut ressentir aucune compassion. Car pour lui, il est normal que le peuple souffre, car ainsi est sa nature, ainsi est son rang.

Gangrène de commérages

Des êtres – hélas ! trop peu nombreux – se sont soulevés contre cette vision du monde. Oscar en fait partie. Elle s’oppose à l’ordre établi, aura l’audace de tourner le dos à son rang. Crime insensé et odieux, à l’époque. Action tout aussi périlleuse aujourd’hui. Même si l’on veut croire au rapprochement des êtres humains, les différences divisent toujours autant.

La Cour de Versailles, c’est cette société de commérages et de mensonges, de trahisons et de débordements. Mais tout va bien, tant que le tumulte est assez faible pour être contrôlé. Louis XIV a gardé, du traumatisme de la Fronde – qui voyait toute la Cour unie contre sa mère, la régente Anne d’Autriche, et Mazarin, son ministre – la certitude que les ragots sont utiles, et nécessaires. Diviser pour mieux régner. Tout faire pour que la Cour ne s’unisse jamais. Cette vieille stratégie est, elle aussi, toujours d’actualité. S’immiscer dans le camp de l’adversaire, saisir la moindre occasion pour le faire chanceler. Le monde politique actuel n’est pas avare en exemples.

Et s’ils existaient tous, aujourd’hui ? Oscar et André seraient des lanceurs d’alerte. Déraisonnons véritablement : Louis XVI finirait par se ranger, lui aussi, du côté de l’ordre juste. Celui qui n’opprime pas son prochain, celui qui considère chaque vie indépendamment de la richesse, du statut, des honneurs.

Les Roses se cachent pour pleurer

L’argent, toujours l’argent. Il ne s’agit plus d’être simplement bon à l’école. Il convient surtout d’avoir de quoi chauffer les sièges des cours particuliers. A l’époque, la noblesse faisait le statut social. Nombre d’aristocrates ruinés maintenaient leur train de vie, de peur de froisser leur rang.

Oscar croit, dans sa jeunesse, que la destinée choisie par son père est la bonne. Etre un homme n’a-t-il pas que des avantages ? Naître femme, c’est naître enchaînée. Sous la tutelle du père, ou de l’époux. Les plus riches s’abonnent aux frivolités, arpentent les salons mondains, jettent leur progéniture dans les bras de nourrices. Mais Oscar n’est pas un homme. C’est une femme libre qui ne partage pas la vision de sa classe sociale, et qui ne juge pas les hommes selon leur rang.

André aussi se considère comme libre, et ne comprend pas cette discrimination qui le classe invariablement parmi les perdants. Devrait-il être condamné pour son absence de sang bleu ? Condamné à une vie sans joies ni amour ? Et que dire de ces autres, aristocrates, domestiques, souverains, marchands… autant de destinées broyées par une histoire qui ne tire aucune leçon du passé, mais qui continue de se rouler dans sa haine de l’autre et ses préjugés.

Et renaissent, pour vivre, libres

Dans le tumulte de la France du XVIIIe siècle, les roses espèrent le retour des jours heureux… La grande et la petite histoire se mêlent. Histoire d’un pays, qui, pendant près de dix ans, se cherchera un régime. Le périple français post-révolution s’éternise dans la terreur. La République n’arrive pas tout de suite. Au temps de la Révolution, les rebelles n’entendent pas du tout changer de régime. La République est, à cette époque, une excentricité. On tient à sa monarchie comme on tient à sa vie. Seulement, on ne supporte plus ses déviances aristocratiques.

Et voici les femmes et d’hommes tentant de survivre dans un monde aux règles complexes, souvent absurdes, où l’on commande même l’amour. Aujourd’hui encore, cette bataille contre l’ordre établi, cette bataille que l’on pense gagnée, est à l’origine de bien des conflits. Beaucoup de choses ont été faites pour le triomphe de la liberté. Beaucoup reste à faire. Mais, certainement, la bataille sera gagnée. Il faut attendre, et espérer.

Versailles no Bara

Versailles no Bara, la Rose de Versailles, c’est le chef d’œuvre d’IKEDA Ryoko. Titre incontournable du manga, Versailles no Bara est publié en 1973 chez l’éditeur Shûeisha. Le manga sort une première fois en France chez Kana, en 2002. Il est réédité en 2011. L’adaptation anime de la Rose de Versailles (studio TMS) sort en 1979 Japon, en 1986 en France. Un film d’animation, lancé pour célébrer les 50 ans de la série, est en cours de production depuis 2022.

Pour aller plus loin 

La fiction a rejoint la véritable histoire. Il existait un « Jarjayes », un vrai : François Augustin Régnier de Jarjayes a été la source d’inspiration de Ryôko IKEDA. Peut-être parce qu’ayant épousé l’une des intimes de Marie-Antoinette, il entra dans le cercle très fermé des amis de la Reine. Il tentera, en vain, de faire évader la souveraine déchue.

Le Grand Magasin – Au Bonheur des Animaux

Impossible de terminer notre aventure contée du jour sans revenir sur Le Grand Magasin, au Bonheur des Animaux, le très joli film d’ITAZU Yoshimi. On y suit les péripéties d’Akino, concierge énergique fraichement employé au Grand Magasin Hokkyoku, alors que les fêtes de Noël approchent. Niché quelque part dans la forêt, ce Grand Magasin, semble à première vue entièrement dédié au consumérisme. Son nom parle pour lui, et l’on y vient effectivement pour se délester de son argent contre de jolies montres à gousset, des parfums rares, des sacs en édition limitée. On y vient aussi pour admirer les œuvres d’art, flâner dans les soieries luxueuses ou déguster un bon thé.

Dans cet écrin chatoyant, les animaux se promènent, paradent, se donnent rendez-vous, essaient 1000 vêtements, achètent le tout ou n’achètent rien… Le Grand Magasin a été créé pour eux. Les humains sont à leur service. Akino et ses collègues s’assurent que chaque animal passe un agréable moment au Hokkyoku. Si les Very Important Animals sont particulièrement choyés, Akino met un point d’honneur à servir chaque client avec le même respect.

Une histoire dans l’histoire

Film d’animation lumineux et enjoué, Le Grand Magasin porte aussi un message lourd. Un message que l’on feint parfois d’ignorer, pour éviter de plonger dans la culpabilité. Car cette enseigne dédiée au luxe pourrait révulser, quand on sait qu’elle accueille des animaux menacés d’extinction où dont l’espèce est éteinte. Derrière le Grand Magasin, il y a bien le projet des humains. Ces mêmes humains qui ont traqué les animaux au point de les exterminer leur érigent une tour dorée pour expier leurs fautes. Il y a presque quelque chose de cynique : c’est le coupable qui décide de sa peine et l’aménage. C’est ce que nous faisons nous aussi, à des degrés divers.

Avec une grande douceur et beaucoup de finesse, ITAZU Yoshimi, le réalisateur du film, nous présente une histoire pleine de bienveillance. Il nous montre aussi une palette de sentiments compliqués, d’émotions contradictoires avec lesquelles il faut négocier. Les animaux sont-ils heureux, à présent ? Akino espère. Elle n’a bien sûr rien à voir avec les exactions de ceux qui l’ont précédée. Justifiera-t-on les mauvaises actions pour dire qu’elles ont permis ça, ce Grand Magasin ? Bien sûr que non. Les crimes du passé restent ce qu’ils sont : des crimes à condamner. Akino le sait prend ses responsabilités. S’assurer du bien-être de ses clients est pour elle un devoir qui dépasse le simple devoir professionnel. Alors elle essaie, elle persévère, se trompe, apprend de ses erreurs, avance et progresse. Son souhait : apporter un peu de joie aux précieux clients du Grand Magasin.

Le vrai sens de Noël

Noël n’est heureusement pas une histoire de cadeaux physiques et de consumérisme. Il n’y a pas forcément la table croulant sous la nourriture et les proches, invités d’à côté ou de plus loin. Ce sont pourtant les images que l’on présente tout le temps. Elles peuvent heurter, surtout lorsqu’on vit l’exact opposé de ce qu’on nous montre. Que dire à celui ou celle qui n’a rien ? Que dire et que faire lorsque la tristesse submerge ? Difficile de toujours trouver les mots et l’attitude. Le silence est parfois préférable aux paroles sans fond. Le vrai Noël, c’est celui qui nous laisse sa paix même dans les larmes. C’est celui qui parvient à réchauffer le cœur et qui redonne la joie.

Allons… Solidaires vers la nouvelle… Année !

Les infos en plus

Titres chroniqués : Emma ; Maison Ikkoku ; La Rose de Versailles ; Le Grand Magasin

Crédit photo : Matthew Henry, Burst

Crédit musiques :

Joy to the World/Jingle Bell, de Jes Smith, Zapsplat

Large sleigh bells medium speed shake, ringing 1, Zapsplat

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