Les rêves des Girls trentenaires
Nos Tokyo Tarareba Girls, Rinko, Kaori et Yuki sont d’honnêtes trentenaires qui constatent que la vraie vie est bien plus morne que l’imaginaire. Rinko se rêvait grande scénariste. Elle écrit pour des web-drama. Kaori pensait créer son empire esthétique. Elle peine dans un petit salon de nail art. Seule Koyuki semble s’en sortir. Elle travaille au Nonbe, le bistro de son père. Mais elle aussi souffre de sa situation. Où sont les rêves de jeunesse ? Chaque jour qui passe est angoissant. Les trentenaires noient leur frustration dans le sake du Nonbe. Une frustration bruyante, qui agace Key, nouveau client du bistrot, accessoirement jeune mannequin hautain et cynique. La bataille des générations a commencé.
Au commencement de Tokyo Tarareba Girls
En japonais, « たられば / tareba » peut se traduire « et si ? ». « 娘/ musume » signifie « fille ». Publié de 2014 à 2017 chez l’éditeur japonais Kôdansha, Tokyo Tarareba Musume, manga au bonheur des trentenaires, est l’œuvre d’Akiko HIGASHIMURA (Ne m’oublie jamais, Princess Jellyfish, Trait pour trait…). Finie en 9 tomes, la série est disponible en France chez Le Lézard Noir, sous le nom Tokyo Tarareba Girls. L’éditeur a d’ailleurs récemment sortie Tokyo Tarareba Returns, suite de la série éponyme (sortie au Japon en 2018). Une saison 2, terminée en 6 tomes, a aussi été publiée au Japon. Elle paraîtra en France en septembre.
Fort de son succès, le manga d’Akiko HIGASHIMURA a connu une adaptation en drama, avec 10 épisodes sortis en 2017 (drama disponible sur Viki). A la réalisation, le trio Seiichi NAGUMO (Anego, Hotaru no hikari…), Naoko KOMURO (Jomuni…) et Yuma SUZUKI (Ashita, mama ga inai…). Yuki MATSUDA signe le scénario. Un film, réalisé par Yuma SUZUKI et toujours scénarisé par Yuki MATSUDA est sorti en 2020 au Japon. Mais il est encore inédit en France.
La mélancolie des Tokyo Tarareba Girls & Boys
Face à leur quotidien qu’elles jugent sans relief, les héroïnes trentenaires ne cessent de s’interroger. Et si elles avaient pris une autre orientation ? Leurs anciens camarades ont un emploi stable, marié-es, avec des enfants et un logement à crédit dans le centre de Shinjuku (c’est cher, Shinjuku). Elles stagnent dans leur vie de célibataire aux fins de moins difficiles. Et si l’on pouvait revenir en arrière ?
Derrière l’humour et les questions, la contestation. Les injonctions faites aux femmes sont encore nombreuses. Elles devraient rester belles et jeunes, être indépendantes, mais pas trop, sourire, être fortes et fragiles, douces et prévenantes. Des efforts qui seraient tous à destination des hommes, à qui l’on accorderait tous les droits. C’est trop. Rinko et ses amies crient leur frustration. Et les hommes ?
Les hommes aussi souffrent. Derrière sa désinvolture, le jeune mannequin Key cache également tristesse et frustration. Hayasaka, le collègue de Rinko, complexe face à l’image de l’homme parfait dégoulinant des écrans et des magazines. On attend des hommes un gros salaire, un beau corps, de grandes jambes. De la gentillesse désinvolte, un esprit « sac à main » pour combler les désirs de Madame. A force de se rouler dans les stéréotypes, femmes et hommes finissent par se manquer.
Qu’est-ce donc que le bonheur ? A voir les héroïnes, il semble être dans ces hommes qui leur fendent le cœur. Elles en parlent comme de brochettes à se caler sous les canines. Mais le bonheur doit-il vraiment dépendre de son homologue humain ?
Quelques froissements ?
Heureusement, Akiko HIGASHIMURA dose savamment réflexions et instants plus légers. Après la peine, le sourire. Quelques larmes pour le liant, beaucoup de rires pour les épices. Et si l’on allait chacun à son rythme ? Si l’on faisait « pause » ? La fuite n’est pas toujours un aveu de faiblesse, au contraire. Fuir les injonctions, fuir les préjugés, la pression de la société, du regard de l’autre… peut être salvateur. Réfléchir, pour mieux repartir.
J’ai cependant trouvé le jeune mannequin Key bien insolent. Il passe son temps à invectiver les trentenaires sans le moindre respect. Hélas, les jeunes femmes manquent souvent de mots pour le reprendre. La traduction française n’hésite pas à insérer le terrible qualificatif « y-a-qu’à-faut-conne ». Ayant acheté la version japonaise, j’ignorais que l’on traduisait ainsi les propos de Key. Ils reflètent cependant très bien le personnage.
On reste trop souvent sur la parole de Key, comme pour lui donner raison. Bien sûr, comme dit plus haut, ses mots sont influencés par sa souffrance, tout comme les lamentations des Tarareba Girls sont influencées par leur peine. J’aurais cependant apprécié une opposition plus franche devant certains propos de Key. Et le respect du droit d’aînesse enfin ! Sont-ce des manières de parler à des personnes plus âgées !? Sur ce point, le Key du drama est un peu plus prévenant.
Et des crissements de dents ?
Quant aux héroïnes, elles sont parfois bien agaçantes. On s’horrifie parfois devant certaines de leurs réflexions. Certes, on comprend leurs angoisses. Des angoisses partagées par les hommes, contrairement à ce que l’on pourrait penser. L’histoire aurait bien mérité un arrêt plus long sur eux, à commencer par le tolérant et gentil Hayasaka. Réhabilitons ces hommes gentils ! Prévenants, attentionnés, professionnels, humbles, drôles, persévérants, voilà des hommes à soutenir !
Tokyo Tarareba Girls est une série qui fait réfléchir. Entre deux rires, on s’interroge sur ces sociétés actuelles pleines de contradictions. Ces sociétés qui font culpabiliser le/la célibataire sans enfant et qui transforment les relations sociales en chasse au/à la prétendant.e. Mieux vaut donc fuir. Fuir le monde intolérant pour se retrouver et repartir en paix. Préserver ses oreilles et ses yeux pour entendre et voir l’important. Apprendre de ses erreurs, rebondir, apprendre à se réjouir, se laisser un temps pour digérer le passé, pour se pardonner et rebondir encore, tant qu’il y aura un lendemain.
Les infos en plus
Manga Tokyo Tarareba Girls, aux éditions Le Lézard Noir
Drama Tokyo Tarareba Musume, le site officiel (en japonais)
Film Tokyo Tarareba Musume, le site officiel(en japonais)
Générique du podcast : Hands of the wind, de Manuel Delsol
Crédit image : Tokyo Tarareba Musume © 2014 – Akiko HIGASHIMURA/Kôdansha.