Menu du jour Entre les lignes : égalité femmes-hommes et lutte pour ses droits. Bon appétit.
Les adultes et adolescents en construction d’Entre les lignes mélangent leurs assiettes pour un tome 7 tout en questionnements. Entre la vérité et le mensonge, il n’y a parfois qu’une virgule. Asa, qui ne parlait jusqu’alors que de sa mère, se souvient qu’elle avait un père. Un père qui portait des lunettes. Des lunettes, un pull et un pantalon. Des chaussettes et des chaussures, sans aucun doute. Et à part ça ? L’adolescente questionne les adultes. À part ça, comment décrire une personne qu’on est censée connaître ?
Du bruit entre les lignes
Le monde fait du bruit. L’adolescence crie. L’adulte gémit. Le petit univers de YAMASHITA Tomoko prend une nouvelle teinte dans ce tome 7. Les ingrédients qui font le succès de la série sont toujours là. Les questions anodines, à première vue, se coincent dans le gosier, perturbent l’estomac et assassinent le microbiote. Les héros d’Entre les lignes continuent cependant de manger, car il faut bien vivre. Bien que perdue dans ses questionnements, Asa continue de vivre : « ma vie n’est pas finie, parce que je suis en vie ! »
Entre les lignes, le josei manga de YAMASHITA Tomoko, est publié au Japon depuis 2017, dans le magazine Feel Young (Shôdensha). Il compte actuellement 7 tomes, au Japon comme en France. Le titre se nomme 違国日記 (ikoku nikki) en version originale, clin d’œil à Makio, qui semble venir d’un autre monde. Elle-même reconnaît ne pas comprendre les humains avec qui elle est censée partager l’oxygène. Elle étouffe souvent. Asa aussi. La tante et la nièce cohabitent depuis le décès des parents d’Asa, Minori et Hajime. Minori était la grande-sœur de Makio. Une grande-sœur autoritaire, une mère bienveillante et parfaite. Les souvenirs d’Asa et de Makio ne coïncident pas. La lycéenne et la tante, romancière asociale, marchent parfois sur des barres parallèles.
La fuite, la victoire, la vie
C’est quand même une marche. Les autres personnages d’Entre les lignes ont aussi l’impression d’évoluer dans un monde parallèle. À moins qu’ils ne soient incompatibles avec le monde. Mais pourquoi devraient-ils être compatibles avec un monde intolérant, discriminatoire, injuste ? TAKAMICHI Shingo, l’ancien petit-ami de Makio revenu dans la course sentimentale, et TONO Kazunari, avocat qui aide Makio concernant son nouveau rôle de tutrice, en discutent en tant qu’hommes autour d’un déjeuner. En tant qu’homme ne pleure pas, croque le danger, se joue des femmes et gagne tout sans aucun effort. En tant qu’homme est un monstre qui terrorise les garçons depuis le berceau. Shingo et Kazunari ont fui. La fuite, c’est aussi la marche victorieuse pour la vie. Une vie loin de l’insupportable monde des hommes.
Les jeunes femmes ou la réalité dans le manga
Chiyo aussi voudrait bien marcher, mais le monde l’arrête. La lycéenne, camarade d’Asa, subit la discrimination. La faculté de médecine qu’elle visait a retiré des points aux filles pour les empêcher de réussir leur examen d’entrée. Malgré ses bons résultats, Chiyo est recalée. L’affaire relatée dans le manga est tirée de faits réels. En août 2018, l’université de médecine de Tokyo reconnaît avoir truqué les examens d’entrée pour avantager les hommes. Depuis 2006, l’établissement diminuait les notes des femmes. On comprend mieux pourquoi « 80 % des étudiants ayant été reçus à l’université ce printemps étaient des hommes » écrit alors l’Asahi Shimbun, cité par le Courrier international. L’université maintenait en effet un effectif d’environ 20 à 30 % de femmes.
A quand l’égalité entre les femmes et les hommes ?
Loin de s’excuser, l’université de médecine de Tokyo explique qu’il serait difficile pour les femmes de concilier vie priée et vie professionnelle. Un argument sexiste qui provoque l’ire de la Japan Women Medical’s Association. L’affaire enfle. D’autres universités (Kitasato, Juntendo) reconnaissent avoir truqué leurs examens pour réduire le nombre d’étudiantes. En septembre 2019, l’université de médecine de Tokyo élit pour la première fois une femme à la présidence. HAYASHI Yukiko, elle-même ancienne élève, présente des excuses appuyées et annonce que l’université recontactera 67 candidates recalées.
Le scandale est un électrochoc. Les étudiantes demandent réparation et gagnent les procès. Dès 2019, on observe des taux de réussite des étudiantes légèrement supérieurs à ceux des étudiants. Des femmes accèdent à des postes de direction. Mais la marche est encore longue pour l’égalité femmes-hommes. Le Japon sort 116e (sur 156) du classement mondial 2022 sur l’égalité des sexes. Dans le manga, Chiyo crie son désarroi. Ces discriminations reviennent « à considérer que les filles ne sont pas des êtres humains ! » Pourquoi ne pas simplement être équitable ? Les revirements des universités de médecine n’effacent pas les destins brisés.
Entre les lignes et les liens
Entre les lignes continue de nous interpeller avec finesse. YAMASHITA Tomoko a l’art et la manière de nous interroger au détour d’une phrase, d’une question, d’une conversation qui semble banale. Elle décrit avec simplicité et brio les émotions des personnages. Le deuil, la vie, les liens de famille, les liens qui font mal, les fils à couper ou raccommoder. Petit bémol : certains personnages se ressemblent trop (Chiyo semble être une Makio version ado). Mais rien de bien grave. On est vite absorbé dans l’univers d’Entre les lignes. Le josei manga n’a pas fini de nous dévoiler l’étendue de son univers.
Retrouvez le manga Entre les lignes aux éditions Kana.
Podcast générique de début et de fin : Hands of winds, de Manuel Delsol. Un grand merci !
Crédit couverture du manga : Entre les lignes © 2017 – YAMASHITA Tomoko / SHODENSHA.