Précédemment dans Tokyo tarareba girls

Tokyo tarareba girls arrière rapide

Suite directe du manga Tokyo tarareba girls, signé Akiko Higashimura (Ne m’oublie jamais, Princess jellyfish…), Tokyo tarareba girls returns est sorti en 2018 au Japon. Terminée en 1 tome, cette suite est sortie en juillet 2023 en France, toujours chez Le Lézard Noir. La saison 2 arrive très bientôt, en fin septembre / début octobre.

On avait laissé nos trentenaires préférées dans la joie, du moins, c’est ce qu’on pensait. La belle vie pour Rinko et Key, la belle vie pour Koyuki et Kaori, toutes deux revenues sur le droit chemin… Il est temps pour les trois amies d’aller de l’avant. Key aussi veut tourner la page. Tout le monde avance. Le décor semble prêt pour les réjouissances…

Quoique.

Le temps d’une mise au point mort

Alors que s’ouvre Tokyo tarareba girls returns, c’est grise mine chez Rinko. Elle végète sur le canapé, le regard plus ou moins évanoui devant sa télé. Key occupe tout l’écran. L’homme a immigré avec son agente à Los Angeles et tourne dans une série télé vaguement intéressante. Il n’a pas proposé à Rinko de l’accompagner. De toute façon, elle aussi travaille. Elle a mieux à faire que de jouer les bagages… Hélas, il faudra encore attendre avant de voir son nom briller aux côtés de ceux des meilleurs scénaristes de l’univers… Rinko ne végète pas seulement sur son canapé. Côté vie professionnelle et vie sentimentale, c’est aussi la stagnation.

Pour Koyuki, pas de stagnation, mais plutôt le retour à la vie tranquille. Elle travaille toujours dans le restaurant familial. Elle y reçoit toujours ses amies pour des rencontres festives entre trentenaires.

Quant à Kaori… pas de stagnation non plus pour elle. C’est même tout le contraire : Kaori se marie.

C’est le jour du mariage

Décision prise après quelques rendez-vous avec un ancien camarade de classe retrouvé à l’occasion d’un enterrement… Un lieu de rencontre bien original, certes. Le cadre romantique du banc dans le parc bucolique n’est pas toujours disponible… On aurait pu craindre quelque frustration chez Rinko et Koyuki. C’est heureusement tout le contraire. Elles se réjouissent sincèrement pour le bonheur de leur amie.

Elles se réjouissent moins dans leur tenues de demoiselles d’honneur, et craignent d’avoir passé l’âge de se trémousser avec des couronnes de fleurs sur la tête. Mais elles n’ont pas le temps de s’épancher sur leur toilette. Car la menace plane sur la célébration du mariage. Quelques non invités se sont introduits sur les lieux du mariages… Des ex, qui veulent s’immiscer dans la nouvelle histoire que Kaori tente d’écrire. Heureusement, un homme bien zélé pour le respect de l’ordre et de la sécurité vient prêter main forte aux jeunes femmes… Son zèle ira-t-il jusqu’à faire de l’ombre à Key ? Car oui, on dirait bien que parmi les visages que l’on attendait pas figure celui de l’acteur-mannequin…

Arrêt sur image

Alors que Koyuki et Rinko complimentent leur amie qui rayonne dans sa robe de mariée, cette dernière se lamente. Elle aurait voulu « une tenue ornée de dentelle », mais « vu son âge »… Ce petit bout de phrase revient souvent dans la saga des Tarareba girls.

Confère une scène présentant les 3 amies ivres, après une de leurs « soirées entre filles ». Elles dégringolent par terre, au pied de Key. Kaori se redresse et l’interpelle : en tant qu’homme, ne devrait-il pas secourir la femme à terre ? Mais Key ne considère plus les trentenaires comme des « femmes », surtout pas les spécimens gisant à ses pieds. Pour lui, ce genre de minauderie de femme ivre pleine de régurgitation passe jusqu’à ses 25 ans. Passé cet âge, le temps obligerait les femmes à se lever seules.

L’on pourrait objecter qu’aider ou non son prochain ne devrait pas dépendre du fait qu’il soit une femme ou un homme. L’on pourrait aussi souligner que si Kaori a la force pour geindre et se redresser, elle pourrait se lever tout à fait et secourir ses amies.

« Vu son âge… »

Hélas, la théorie ridicule de Key fait écho à celle des « femmes périmées à 30 ans ». Gagner de l’âge est encore perçu comme une chose terrible pour les femmes (et de plus en plus pour les hommes) alors qu’il s’agit d’un phénomène naturel. Cependant, une ride, une peau qui s’affaisse, un éclat plus tout aussi éclatant qu’à 20 ans, ont parfois des conséquences dramatiques.

Par exemple, au cinéma ou à la télé, on ne compte plus ces rôles de « femmes mûres » attribuées à des jeunes femmes. Elles ont une relation amoureuse avec un homme bien mûr, qui, lui, a bien l’âge qu’il doit avoir, dans la fiction comme dans la vraie vie. Même problème dans le mannequinat, où des adolescentes posent pour collections destinées à des femmes. La question se aussi pour les hommes, poussés à entretenir un prétendu physique de « jeune premier », avec la taille, la musculature, et la chevelure qui vont avec.

Comment rivaliser ? Faut-il seulement le faire ? Car l’adolescence ne dure qu’un temps, et heureusement. Chaque période de vie a ses avantages, sa beauté, son éclat, qui ne demandent qu’à se révéler. Mais le monde semble penser l’âge qui avance comme une punition. Heureusement, d’autres professionnels du cinéma et de la mode, pour rester dans cet exemple, ont bien compris le danger du jeunisme, et mettent en valeur tous les âges, les morphologies, les corps, avec leur histoire, leur beauté.

Bien sûr, certaines choses se font à des périodes précises de la vie. On ne va pas continuer de boire du lait maternel toute sa vie. Au bout d’un moment,on passe à autre chose, on mange de la nourriture solide. C’est un signe de maturité.

Temps mûr

Maturité. On la voit où on veut la voir mais on la chasse parfois lorsqu’elle veut s’installer. L’enfant qui apprend à parler, à écrire, qui commence à émettre un raisonnement ; l’adolescent qui apprend à penser et à raisonner avec des éléments plus complexes encore, qui se renseigne, apprend des autres, se corrige ; le jeune adulte qui apprend encore, se remet en question, gagne en sagesse… voilà des signes de maturité que l’on veut bien reconnaître.

Mais lorsqu’elle s’imprime sur le corps, la maturité n’est pas toujours bien acceptée… Le fruit mûr est bon à manger, mais il faut le manger rapidement. Il devient vite trop mûr et n’est plus bon qu’à être réduit en purée. Il reste mangeable et peut même avoir encore du goût, mais certains ne voudront pas faire l’effort d’imaginer une purée de poires ou un gâteau aux carottes ; ils jetteront les fruits et légumes gâtés, et en achèteront de bien frais…

On entend parfois ces comparaisons entre les fruits et légumes et les humains. Comparaisons qui touchent surtout les femmes. Les personnes adeptes de ces théories pensent bien faire en rappelant que la fameuse horloge biologique tourne, que le temps passe, qu’hier c’est hier, que demain ne reviendra pas, qu’il faut faire vite. Vite comment, pourquoi ? Loin de la bienveillance, ces propos blessent. Car les personnes concernées sont les premières à vivre le temps qui passe.

Temps vivant, tant qu’on vit

Le temps passera toujours, avec ou sans pressions humaines. On pense qu’il stagne, accélère, recule, qu’il est élastique, se gagne ou se perd, se récupère, se fructifie… Mais le temps ne fait rien de tout ça. Le temps est temps, indépendamment de ce qu’on pense lui attribuer. Aucune joie, crainte, espoir ou angoisse ne va influer sur lui.

Par contre, les joies, craintes, espoirs et angoisses influent sur la manière dont on perçoit ce temps. Une minute dans le rire ou les larmes ne sera pas la même minute, pour celui ou celle qui la vie. Celui qui est attristé peut ressentir le temps comme figé. Les couleurs même sont plus ternes, la voix baisse, on entend moins celle des autres, les articulations grincent, le corps se voute… Les émotions ont des effets réels sur le corps, sur la perception qu’on peut en avoir, sur le temps etc. Ce sont toutes ces interactions qui influent sur la manière de ressentir le temps.

Dans Tokyo tarareba girls, ce temps est souvent angoissant. Rinko, Kaori et Koyuki répondent rarement aux piques vives de Key. Ce soir où elles étaient étendues par terre, par exemple, elles n’ont rien trouvé à lui répondre. Parfois, même, les propos de Key restent comme un point final. Key n’est pourtant pas la voix de la sagesse. Ses expériences l’ont certes fait gagner en maturité. Et en même temps, il a encore beaucoup à apprendre. Notamment, beaucoup à apprendre des trentenaires.

Rinko, Kaori et Koyuki ont peut-être trop longtemps regardé en arrière. La frustration déforme leurs souvenirs et leur avenir. Certains les trouvent agaçantes. Elles peuvent effectivement avoir des réflexions aussi étranges que celles de Key. Kaori a cédé devant les des vendeurs et vendeuses. Pourtant, il n’y a pas de limite d’âge pour porter de la dentelle.

Le temps à la mer

Chacun son horloge. La formule n’est pas une fuite en avant. Mais plutôt que de se projeter dans un âge pas encore ou déjà atteint, pourquoi ne pas apprendre à vivre dans celui d’aujourd’hui ? A chaque jour suffit sa peine. En apprenant à mieux faire aujourd’hui, et en faisant un pas de plus tous les jours, demain sera peut-être mieux.

Le temps semble parfois déformé parce qu’on fond, c’est le passé qui se trouve devant les yeux. Comme le futur n’est pas écrit, seuls les souvenirs restent. Des souvenirs heureux qui peuvent éclairer ou assombrir le chemin… Mais comme Kaori avance sans savoir ce que lui réservera l’avenir, et malgré son passé parfois douloureux, personne ne peut savoir comment sera le chemin sans s’y aventurer. Des souvenirs douloureux ne présagent rien du tout, et surtout pas un avenir douloureux. Les souvenirs sont passés et ne se revivront plus.

Cependant, ils ont une force : celle qu’on leur donne. Mais là encore, comme Kaori avance vers un demain qu’elle ne connaît pas et que personne ne connaît, on peut aussi essayer. Kaori a ses amies pour la pousser. On a peut-être des proches, des personnes sur qui compter… On peut essayer de socialiser, de rencontrer de nouvelles personnes, comme une bouteille lancée à la mer… Pensée peut-être naïve mais indispensable, car aussi mauvais que puisse être l’être humain, il est capable de faire de bonnes choses. On le voit souvent avec Machida, l’adolescent généreux du Petit monde de Machida. On le voit aussi avec Kaori, Koyuki et Rinko qui apprennent de leurs échecs, apprennent la résilience, le lâcher prise. Montrer ses fêlures est aussi une forme de courage. Accepter la main tendue rend plus fort. Relever celui qui est tombé donne de la joie ; la joie simple d’avoir aidé.

Les infos en plus

Tokyo tarareba girls returns, chez Le Lézard Noir

Générique du podcast : Hands of the wind, de Manuel Delsol 🙂

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