
La vie après toi
C’était mieux à deux. Voilà ce que soupire Umiko dans sa maison désormais bien grande et solitaire. Ça ne l’empêche pas de se préparer de bons plats, mais voilà, oui, c’était mieux à deux. Le mari d’Umiko est décédé depuis 2 ans, et la vieille dame cherche une nouvelle activité… Pourquoi ne pas aller au cinéma ? Umiko aime les films. Elle aime surtout en créer. Oui mais ça, chut, ce ne sont que des divagations de vieille femme. Faire des séries à un âge si avancé n’est pas sérieux. Umiko cultive le terrible art de l’auto-dénigrement. Elle en est consciente et lutte contre cela de son mieux. Il surgit parfois brusquement, comme maintenant, où il lui interdit de rêver. Mais n’est-il pas étrange de rêver de cela, à son âge ?
Elle ne se trouve pas d’affinités avec ses amies de quartier, qui semblent rire de ses goûts. Umiko décide de partir au cinéma seule. Elle se souvient de ses jeunes années, au cinéma, avec lui. Elle regarde le public, perdu dans son film. Mais elle aussi est regardée. A moins que ça ne soit l’inverse. Le jeune homme qui la regarde, c’est Kai, étudiant dans la section cinéma d’une faculté d’art. Kai veut réaliser des films. Umiko n’ose y penser. Pourtant, plus elle apprend à connaître l’étudiant, plus les vagues la submergent. Mais alors que la joie grandit de plus en plus dans son cœur, d’autres pensées viennent la faire douter. Va-t-elle faire comme Kai, et s’inscrire en fac d’art ? Va-t-elle oser être étudiante ? Va-t-elle vraiment se lancer dans une carrière de réalisatrice, à 65 ans ?
Ocean and the blue
Le manga de John Tarachine est un bijou. Il est sorti au Japon en 2020, sous le titre Umi ga hashiru endroll (海が走るエンドロール) chez Akita Shoten. La série, toujours en cours, compte 4 tomes au Japon. 2 tomes sont sortis en France, aux éditions Akata.
A sa manière, Ocean Rush nous parle des souvenirs, des regrets, des « et si ». « Et si ? », se demandaient les Tokyo tarareba girls. « Et si ? », se demandait Jihyun. « Et si ? » se demandait le père restaurateur de la camarade de Machida… Umiko aussi se questionne. Elle regarde les jeunes étudiants qui tournoient devant elle avec la sagesse de celle qui a déjà vécu. Pourquoi vouloir se jeter dans leur quotidien ? Pourquoi ne pas plutôt se laisser porter par le sien ?
Mais qu’est-ce que « le quotidien d’Umiko » ? L’âge impose-t-il des limites ? Oui, certes, c’est vrai, certaines choses ne peuvent se faire qu’à un certain âge, pour des raisons logiques, que personne n’ira contredire. Mais qu’en est-il de la réalisation ? Qu’est-ce qui empêche Umiko d’apprendre à faire un film ?
Ocean Rush
Les vagues peuvent emporter les mauvaises pensées au loin. Elles peuvent aussi les faire exploser au visage. A travers la passion du cinéma, Ocean Rush parle du lien intergénérationnel, de ces fils qu’il ne faut pas couper, de ces rêves qu’il ne faut pas fuir. Le manga nous parle aussi des regrets, de la dévalorisation de soi. Umiko peut être chacun de nous. Elle hésite, craint de mal faire. Et si ça se passe mal ? Et si ça se passe mal, et alors ? Pourquoi partir défaitiste ?
Difficile cependant de plonger dans l’inconnu avec l’insouciance de la jeunesse. Mais qui a dit que la jeunesse était insouciante ? Qui est donc cette jeunesse uniforme et forcément insouciante ? Difficultés financières, logement insalubre, précarité énergétique, mal nutrition, problèmes relationnels… beaucoup de jeunes sont très loin de l’insouciance. On le voit avec Kai et certains de ses camarades.
La relation entre Kai et Umiko est très touchante. Leurs prénoms évoquent d’ailleurs la mer, et ils s’en amusent. On peut toujours communiquer. Tant que le lien est là. Il faut oser croire. Le vrai combat est là. Et après de longues tractations avec elle-même, Umiko décide de plonger. N’est-ce pas cela, vivre ?
Les infos en plus
Ocean Rush, aux éditions Akata
Générique du podcast : Hands of the wind, de Manuel Delsol
Crédit image : Umi ga Hashiru End Roll © 2020 TARACHINE John / Akita Shoten