Je n’aime pas la fille de ma mère

Avez-vous des frères et sœurs ? Quels souvenirs avez-vous de votre vie d’enfant ? Qu’en est-il maintenant que vous êtes adultes ? On parle souvent de la rivalité entre les enfants. Ils se chamaillent, mais ce n’est rien, pensent les adultes. Au fond, il s’aiment. Allez chercher l’amour entre Jun et Ran. Creusez bien profond, surtout. A part des piques et des pioches, vous ne trouverez rien. Que des souvenirs périmés.

Jun et Ran sont sœurs. Jun est l’aînée et déteste sa petite-sœur. Ran déteste tout autant sa grande-sœur. Elles ont pris grand soin de vivre leur vie très loin l’une de l’autre. Ran s’est mariée avec son Ritsu. Jun vit seule et s’occupe de sa mère. Elle est prof, vit sa vie. Et puis un jour, un jour qui ne prévient pas qu’il sera catastrophique, la mère décède. Ran revient pour les obsèques. Jun supporte mal sa présence, d’autant plus qu’elle arrive en retard. En retard, aux obsèques de sa propre mère. Mais Ran a la larme facile et pleure dix hectolitres pour compenser son retard.

Jun ne s’en émeut pas. Elle a hâte de refermer ce mauvais épisode pour reprendre sa vie et retrouver ses souvenirs. Jun compte vivre dans la maison familiale. Contre toute attente, Ran, qui ne manifestait aucun amour pour les souvenirs, investit la baraque avec son mari. Deux sœurs qui se détestent et un mari qui ne sait pas où se mettre. Belle cohabitation.

Jalouses, les origines

Jalouses, c’est le nouveau manga de Battan (Entre nos mains). Au Japon, le titre se nomme 煙たい姉とずるい妹 / kemutai ane to zurui imôto « la grande sœur brumeuse et la petite-sœur rusée ». « 煙/ kemuri » =  fumée, enfumé, flou, embrumé… (Jun) ; zurui = rusé.e (Ran)

Ran, la petite-sœur rusée qui fait ses coups en douce, s’impose vite dans la maison. Sa grande-sœur Jun fume, et elle n’aime pas ça. Lui donnera-t-on raison, en disant que fumer, c’est mal, qu’il ne faut pas polluer l’air de la maison, qu’il faut préserver l’atmosphère et ses poumons, et aller fumer ailleurs, vas-y, Ran, va fumer dehors ?

Au Japon, le manga est sorti en 2021, chez la Kôdansha (prépublié dans Kiss). En France, il est sorti début septembre, chez Akata, sous le titre Jalouses. La série est finie en 5 tomes.

Jalouses et plus si affinités

Avec Jalouses, Battan nous parle de manque. C’est surtout ce manque qui crée les rivalités entre les deux sœurs. Le grand point fort de ce premier tome, c’est de nous présenter les évènements par touches. On commence par l’enterrement de la mère. La situation est vu de l’extérieur, mais un extérieur qui émet un jugement sur le comportement de Ran. La petite-sœur n’est pas là, et ce n’est pas normal. On prend naturellement parti pour Jun, sans chercher à comprendre ce qu’il a pu arriver à Ran. La petite-sœur s’enfonce un peu plus en ne tentant même pas de fournir une explication plausible à son retard. La famille aussi se plaint de Ran. Nous validons la thèse que oui, la petite-sœur se comporte mal.

La suite du manga évolue dans ces eaux. Tout nous conduit à soutenir Jun. Ran ressemble à une amie toxique. Son comportement est inqualifiable, quand celui de Jun est honorable. Et puis le point de vue bascule. On entre dans la pensée de Ran. Il faut remettre l’histoire à l’endroit. Relire depuis le début et réinterpréter le comportement de chacune des deux sœurs.

Fumée tourbillon

Incroyable tourbillon. Ce premier tome de Jalouses se dévore, et nous renvoie à nos propres souvenirs. Silences, disputes, paroles blessantes qu’on regrette peut-être ? On voudrait croire qu’il reste un fond d’amour entre les deux sœurs. Battan excelle dans la démonstration de ces sentiments confus. La colère domine, mais c’est une colère nourrit par le manque. La jalousie explose car il y a eu trop de manque. Aucune des deux sœurs ne veut ressentir ce sentiment. Il a accompagné leur jeunesse, leur adolescence. Devenues adultes, elles refusent de manquer. Mais manquer de quoi?

Ne faudrait-il pas plutôt interroger ce manque, le creuser, le fouiller, comparer le manque de Jun et celui de Ran ? Il s’agit peut-être de la même chose. Du même problème. De la même source : le manque.

Le style graphique très expressif de l’autrice sublime le manga. On le voit particulièrement dans les yeux, les expressions du visage, et certaines planches où l’ambiance est quasi électrique… vivement la suite.

Les infos en plus

Retrouvez Jalouses, chez Akata

Générique du podcast : Hands of the wind, de Manuel DELSOL

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