C’est comme ça, oui, non, non, oui, Kai veut croire que non, et on veut croire avec lui ! Bienvenue dans Fashion, l’impitoyable univers de la mode, derrière les paillettes, sous le podium. Kai est bien décidé à mettre un peu de lumière, une vraie lumière !

Fashion !!

Alors que le tome 2 paraît cette semaine, retour sur Fashion, le manga de HARUNA Lemon (Daruchan, Je vais être maman!). Sorti au Japon en 2020, le manga (fini en 5 tomes) est prepublié dans le magazine Bunshun Woman de l’éditeur Bungei Shunjuu. En France, la série est sortie cette année, début mars, chez le Lézard noir. A noter que le titre français conserve le titre original (Fashion !!), mais sans les deux points d’exclamation.

C’est comme ça la mode : l’élégance, les jolis vêtements, le charme, mais pas que l’apparence. La mode illumine et réchauffe le cœur. Hélas, derrière les jolis vêtements, l’élégance et la passion pour la création se cachent parfois les bas instincts de l’humain. Passion ? Mais peut-on seulement en vivre ? Peut-on l’inscrire sur sa feuille d’impôts, remplir son frigo et pavaner dans les soirées branchées ?

C’est comme ça, c’est la vie de Kai

Allez donc en toucher deux mots à Kai. Oui, Kai, 36 ans, père de famille, mari de la mangaka Sakurako (33 ans) et amoureux de mode depuis les premiers rots. Quand il ne dévore pas les défilés de la Fashion week de Tokyo, il s’illustre comme acheteur pour le concept-store d’un ami. Mais il faut bien manger pour courir les défilés, et l’argent ne se glisse pas comme par enchantement sous les podiums. Pour joindre les deux bouts, Kai a pris un job alimentaire : technicien lumière pour des émissions télés. C’est pas tout à fait les mêmes paillettes, mais ça paye les petits pots de la môme.

Ce qu’il manque à Kai, c’est une nouvelle adrénaline, une nouvelle motivation. Tant de beauté, de passion, d’ardeur, ne peut pas finir comme ça, jetée aux pieds de la fast fashion ! Et pourtant, Kai en a vu tellement. Des artistes passionnés contraints d’arrêter leur activité, de créer moins, de créer le contraire de ce qu’ils voudraient créer, de s’aligner sur la fast fashion, de se renier, de voir leur studio souffrir, mourir, à cause de la loi du marché, cette affreuse loi qui ne connaît pas la passion, qui piétine la passion, qui force les créateurs à se copier, à se plagier, à avaler leurs régurgitations, qui rend les gens comme des moutons et veut faire croire que « c’est comme ça ».

Kai lui-même n’aurait-il pas voulu vivre de son art ? Être libre, vraiment ? Son rêve est-il si naïf ? Est-ce toujours « comme ça » ?

Une sortie banale, une rencontre funeste

Ce n’est pas comme ça, non. On peut tout à vivre de son art, et vivre bien. Si ça n’a pas marché pour Kai, ça marchera peut-être pour quelqu’un d’autre.

Voilà ce que pense notre passionné de mode, alors qu’il fait le tour des showrooms avec une amie. C’est là que Kai rencontre Jean. Mais oui, Jean, l’étudiant en stylisme fauché mais passionné. Jean, le jeune homme soigné à l’extérieur mais négligeant à l’intérieur. Jean, le roi des premières bonnes impressions mais attendez, de qui parlez-vous en fait ? De Jean le génie du stylisme ou…

Attention à ce que vous allez dire. Kai ne verse pas dans les préjugés sordides. Jean est particulier, et alors ? Certains le jugeront trop naïf. Il veut préparer son entrée dans le monde, la prochaine Fashion week de Tokyo, pensez-vous ! Mais il n’y connaît rien en organisation et l’amie de Kai (qui est aussi sa prof) lui brosse un CV tellement complet de notre héros que Jean saute sur l’occasion. Jean empoigne la gentillesse de Kai. Jean étouffe son altruisme et écrase sa bienveillance. Il a trouvé son pigeon.

C’est comme ça, c’est le cœur tortueux

La lecture de ce premier tome nous arrache des cris d’horreur. Bien sur, l’intérêt de Fashion n’est pas de faire mystère autour de la vraie personnalité de Jean : son côté manipulateur est dévoilé dans le pitch. L’intérêt de Fashion est plutôt de montrer la terrible mécanique des relations humaines tordues. Faut-il vraiment conclure : « C’est comme ça, c’est la vie ? » Jean s’illustre ici comme une terrible incarnation de « ça ». « ça », la mode, « ça », la vie ou ce qu’on veut en faire. Ça paraît beau à l’extérieur. C’est poisseux, sale et repoussant à l’intérieur.

Jean n’a aucun scrupule à se servir de la passion de Kai. On pourrait d’ailleurs lui reprocher cette trop grande passion. Kai fonce trop vite. S’est-il laissé séduire par les éloges de Jean ? A-t-il pensé réaliser son rêve par procuration, à travers Jean ? Non. On sent que le trentenaire n’est pas animé par ce désir. Kai veut casser la mécanique du « c’est comme ça, c’est la vie ». Il veut croire que le monde de la mode n’est pas aussi impitoyable qu’il le prétend. Kai veut forcer ce monde impitoyable à s’humaniser un peu. Il constate comme la créativité s’est laissée manger par le plagiat et l’étouffement des vrais artistes.

On le constate dans la vraie vie. Quelle place leur donne-t-on aux petits artistes, aux artisans ? Les belles aspirations d’Etsy n’ont pas tenu longtemps. Ravagé par les entreprises plus ou moins grandes, le site a perdu son « esprit artisanal ». Mais allons-nous passivement conclure : « c’est comme ça, c’est le marché économique ? »

Cultive donc ta si belle gentillesse

Comme Machida, Kai veut simplement aider. A force de ne lire que des histoires présentant les plus bas instincts de l’homme, on s’étonne devant un personnage simplement gentil. Kai est gentil, doux et passionné. Il se lève contre les propos racistes, combat les discriminations, soutient ceux qu’on marginalise… La gentillesse, l’altruisme, l’empathie devraient pourtant être des sentiments partagés par tous et toutes : donner sans chercher de contrepartie, s’inquiéter pour l’autre, vouloir le meilleur pour lui sans chercher à tirer la gloire à soi. Kai est comme ça. Il veut sincèrement aider Jean.

Mais certaines personnes ne veulent pas être aidées. Elles peuvent le manifester gentiment, et dans ce cas tout va bien. Elles peuvent être piquées dans leur orgueil et penser qu’on les dévalorise, et là, ça ne va pas. Et d’autres, comme Jean, profitent de la situation pour manipuler, casser, détruire. Dans ce cas, il faut fuir, et vite.

Hélas, bien loin de fuir, Kai entraîne sa femme dans son enthousiasme empathique… Le jeune styliste manipulateur a réussi à émouvoir le trentenaire.

ALERTE ROUGE
Devant quelqu’un qui te balance 3km d’éloges à peine les présentations faites
Face à celui qui vomit sa vie en 3 tomes dès les salutations
Devant quelqu’un qui dit t’admirer alors que tout ce qu’il sait de toi, c’est que tu aimes les pizzas aux oignons.
Face à celui qui veut beaucoup mais ne peut jamais rien
Devant quelqu’un qui rejette toujours la faute sur les autres plutôt que de reconnaître ses torts

C’est la vie des manipulateurs

Voici donc Jean. Roi de la victimisation et des rêves à l’emporte-pièce. Son double jeu est si sordide qu’on a envie de sauver Kai, et vite. Car l’honnête trentenaire s’est mis à cumuler les petits boulots pour payer la Fashion week du manipulateur paresseux… Pire : il entraîne sa famille dans cette spirale. Kai semble s’emmêler de plus en plus dans les filets de Jean. Mais ce n’est que le début. Le cynique monde de la mode ne nous a pas encore livré tous ses secrets…

Excellent premier tome sur les milles et une facette de cet étrange créature que l’homme. Heureusement, il existe des Kai pour combattre les esprits les plus retors. On espère qu’il y aura encore beaucoup d’autre Kai, engagé dans les nobles luttes, contre le racisme, l’exclusion, le sexisme, et toutes les discriminations. Alors que les élections européennes approchent, alors que l’année 2024, « l’année électorale », est un défi pour la démocratie, c’est le moment de prendre par à ces nobles luttes, pour qu’il ait moins de comportements comme celui de Jean, et plus de comportements comme celui de Kai.

Les infos en plus

Crédit image : Fashion couverture du tome 1 © HARUNA Lemon / 2020 / Bungei Shunjuu

Retrouvez Fashion chez le Lézard noir

Fashion !! le site officiel (en japonais)

Générique du podacast : Hands of the wind, de Manuel DELSOL

Effet sonore : Applause cheer 1 – Tunetank.com

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