Précédemment dans Ocean Rush

Les navigateurs et le navire qui chavire

On continue de suivre le parcours de Umiko, Kai et des autres étudiants de la fac de cinéma. Le désinvolte Sora, l’influenceur ultra populaire, peut aussi se révéler sérieux et concentré quand il le veut. Sous ses airs un peu extravagants et provocateurs, il montre toute sa passion pour le métier. De quoi inspirer Umiko ?

Changement de décor. C’est le jour de la commémoration des funérailles du mari de Umiko. Elle retrouve des personnes de sa génération. Une discussion avec l’une d’elles la laisse songeuse. Pourquoi faudrait-il l’approbation du conjoint pour s’inscrire à la fac ? C’est pourtant ce qu’affirme l’interlocutrice ; le ton est léger, mais les propos restent dans la tête de Umiko. Elle n’a plus l’habitude de ce genre de conversation. Elle fait ce qu’elle veut. N’a-t-elle toujours pas fait ce qu’elle voulait ? Une question posée par Kai va justement la mettre devant ses interrogations et ses choix. Aurait-elle poursuivi son rêve si son mari était encore là ?

Changement de décor. Réaliser un film, c’est difficile. Diriger un tournage aussi. Chacun sur son navire, Kai et Umiko naviguent comment ils peuvent. Heureusement qu’on peut toujours se soutenir. Mais quand des vagues inattendues viennent secouer l’embarcation, c’est la panique. Peut-on poursuivre son rêve même si le navire chavire ?

Les parents, les rêves et l’enfant

Dans ce tome, on retrouve les parents de Kai. Occasion pour nous de revenir sur ces rêves et sur la réalité. Pas toujours facile, quand on est ado ou jeune adulte, de parler de ses rêves à ses parents, surtout quand ils sont à des années-lumière de ce qu’ils ont projeté. Le rêve de Kai n’est pas celui de ses parents, du moins, pas celui de son père. Il ne comprend pas les « pitreries » dans lesquelles se roule son fils, et le presse d’arrêter, de quitter son navire pour faire un « vrai travail ».

Pour lui, le cinéma est une coquetterie bien inutile, et qui ne cadre pas du tout avec la réalité. Les succès que l’on peut voir au cinéma ne veulent pas dire que son fils, Kai, réussira. Pour le père de Kai, les chances sont bien trop minces.

Le désarroi de Kai me rappelle un peu celui de Kazuomi dans le manga Love Be Loved, Leave, Be Left, de SAKISAKO Io. Kazuomi rêve de cinéma, mais ses parents sont contre. L’adolescent abandonne un temps son rêve, mais impossible de l’oublier définitivement. Est-ce mal ? Comment « se ranger » et faire « un métier honorable » qui ne fera pas rougir ses parents ? Kazu a beau retourner le problème dans tous les sens, il se torture et devient insupportable pour lui-même. Finalement, le mieux n’est-il pas d’essayer, encore une fois, de faire comprendre sa passion à ses parents ?

Navire de rêves, mur de réalité

Mission parfois bien périlleuse et difficile. C’est que les parents ont bien des arguments pour justifier leurs craintes. Des arguments qu’on comprend aisément, surtout en ces temps de marasme économique. Les professions artistiques effraient, car on les trouve précaires, avec peu de débouchés. Certes, les débouchés sont plus grands dans les secteurs en pénurie de main-d’œuvre. Ça ne garantit pas forcément un salaire confortable, attention.

Beaucoup de parents craignent que leur enfant ne réussisse pas dans sa voie artistique. Se faire un nom est trop compliqué. Ils voient et constatent les succès des autres, mais qui dit que leur enfant y arrivera ? Entreprendre des formations plus classiques, comme le commerce, la plomberie, la comptabilité, l’électricité, la médecine, le droit, la boucherie… est plus rassurant. Et là encore ! Certains parents ont une vision bien arrêtée et ne visent que les secteurs tertiaires (les services). Ils rêvent d’un enfant médecin ou avocat. Mais l’enfant veut être boulanger, coiffeur, plombier ou réalisateur de films. Et alors ?

Le navire du bon père de famille

Un jour, alors que je furetais dans les allées de quelque grand établissement, je tombai sur un père de famille et ses deux enfants. Il y avait, ce jour-là, un évènement autour du manga. Curieuse, je m’entretins avec ce père. Ses enfants bondissaient de joie. « Des mangas ! Des mangas ! » Le père m’expliqua qu’il était justement venu à cet évènement parce qu’il ne comprenait rien au manga. « Mes enfants sont fans. Comme je n’y connais rien, je suis venu pour comprendre, rencontrer des gens qui s’y connaissent… Mes enfants veulent s’inscrire dans une école de manga. Je leur achète des feuilles, des crayons… ils sont très doués ! »

Ce père était très touchant. J’ai pensé bien fort : « voilà une excellente attitude ». Ce père est entré dans le monde de ses enfants au lieu de fermer la porte. Il a dominé ses craintes pour encourager ses enfants. Il était visiblement fier et heureux de les voir si épanouis.

Encore une fois, on comprend les craintes des parents. Ils ne connaissent pas le milieu, pensent que les places sont rares, que tout est bouché, que les études coûtent cher et ne rapportent rien. Ils peuvent aussi avoir un apriori sur ce que leur enfant appelle « art », mais qui, pour eux, ne ressemble à rien. Mais c’est justement parce qu’il ne connaissait pas le milieu que ce père est parti à l’évènement manga. Il m’expliquait d’ailleurs se renseigner, tout d’abord auprès de ses enfants, qui pouvaient passer des heures à lui parler de manga. Et ils allaient ensemble de conventions en évènements, parler à des professionnels, rencontrer des passionnés. Quel père investi !

Pierre

Loin de moi l’idée de vouloir jeter la pierre aux parents. L’éducation s’apprend à chaque instant. L’enfant est un monde et le parent aussi. On pense que tout coule de source, mais non. La communication et l’échange peuvent être brouillés. C’est ce qu’il se passe avec Kai et son père, avec Kazuomi et ses parents. Il peut aussi y avoir des complications extérieures, des navires qui se percutent, des courants contradictoires. Certains parents voudraient bien financer les études de leurs enfants, mais les finances ne suivent pas. C’est dur.

Le navire volant

Bien sûr, les parents veulent le meilleur pour leur enfant. Je parle bien entendu « quand tout va bien », je ne parle pas des relations toxiques, par exemple. Je parle plutôt d’un cadre ordinaire, avec ses joies, ses peines, ses incompréhensions, ses erreurs. Par exemple, certains parents pensent que l’enfant est une extension d’eux-mêmes. Ils sont sûrs qu’il filera dans leur direction puisqu’il « descend d’eux ». C’est complètement faux, mais l’idée persiste.

Les enfants ne sont ni les photocopies ni les extensions des parents. Les ressemblances que l’on peut voir au niveau du physique du caractère s’arrêtent là. À mesure que l’enfant grandit, son monde s’élargit et il part naviguer encore plus loin. Il rencontre d’autres personnes. Il essaie, découvre, fait des erreurs, espère, se trompe, revient en arrière, essaie encore, réussit.

Voler sur l’eau

Certains parents balisent la route de leur enfant pour éviter qu’il ne tombe. Ils préfèrent choisir la voie professionnelle de leur enfant pour garantir sa réussite. Mais ne rien apprendre par soi-même fragilise aussi. Mieux vaut parfois une bonne chute pour savoir comment se relever. Que l’enfant réussisse ou non dans son choix d’orientation, il aura mis tout en œuvre pour y arriver. Il n’aura pas de regrets. Car les regrets peuvent être terribles. On rumine, on s’en veut de ne pas avoir essayé, on en veut peut-être à ses parents, au monde entier. Ça aussi, c’est dur.

Et c’est pour toutes ces raisons qu’il vaudrait mieux y aller. Réaliser un film, et d’autres. Essayer de dialoguer en famille. Plus facile à dire qu’à faire, effectivement. Mais que peut-on faire d’autre à part espérer, encore, et toujours. Espérer qu’un jour, les vagues se calment et qu’on puisse tous ensemble voguer sur le même navire.

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Crédit image : Ocean Rush © TARACHINE John / Akita Shoten

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