Précédemment dans Barbara, l’entre-deux-mondes

Pour rappel, Barbara est le manga de science-fiction de la célèbre HAGIO Moto. Il raconte une histoire entre rêve et réalité, entre désirs, convictions, ambitions et limites du corps humain, de l’esprit humain… Mais peut-on dépasser ces limites pour vivre son bonheur ? C’est la question que pose Aoba, l’héroïne du manga. Avec elle, WATARAI Tokio, l’enquêteur qui peut entrer les rêves, s’interroge sur le bonheur et la vie, les vies, ce présent dans lequel il vit et ce rêve qu’il aurait voulu vivre, avec son fils Kiriya.

Alors même que l’enquête sur Barbara – le titre du manga est le nom d’une mystérieuse île – plonge dans la cruauté, sur fond de crime, Tokio rêve d’un bonheur ordinaire. Il n’a jamais été un bon père. Il veut le devenir, là, maintenant. Mais le moment est peut-être mal choisi. Car son fils, Kiriya, se retrouve mêlé à cette histoire sanglante…

Le tome 2 de Barbara met un point final à l’enquête de Tokio. A moins qu’il n’ajoute une virgule, un chapitre supplémentaire, quelque part, sur Terre ou ailleurs. Je vous laisse découvrir ce titre fort riche – les révélations vont croissant dans ce dernier tome. La frontière entre la réalité et le rêve est de plus en plus mince. Entre les deux, l’immortalité et la quête de bonheur…

Vieillir, c’est fini

Vieillir est-il une maladie ? Devrait-on vieillir jeune ? Le culte de la jeunesse semble prendre de plus en plus d’ampleur dans nos sociétés. En 2023, un filtre TikTok nous donne une version anticipée de nous, avec quelques rides en plus. Ce filtre du vieillissement devient vite viral plus de 170 millions d’utilisations en moins d’une semaine. Mais si certains rient, d’autres rient jaune ou ne rient plus du tout. Des vingtenaires angoissent devant la projection de leur visage de soixantenaire. Ils ont peur de vieillir. Ils ont peur de la mort. Vieillir, oui, mais « bien ». Et « jeune ».

Les trentenaires sont plongés dans des crèmes censées effacer des rides qu’ils n’ont pas et tendre des traits déjà tendus. Si l’industrie pharmaceutique s’est depuis longtemps emparée du sujet, empochant par la même occasion quelques pistoles sonnantes et trébuchantes, la science s’est également penchée sur la question, et ne s’est pas arrêtée aux couches supérieures de l’épiderme.

Le rêve de la jeunesse éternelle

Le 29 septembre 2021, The Royal Society Open Science Journal publie « Human mortality at extreme age » étude qui entend pousser les portes de l’immortalité… du moins, en théorie. Car selon les scientifiques, on n’a jamais trouvé d’âge limite pour l’existence humaine. Les chercheurs ont recueilli les données de semi-supercentenaires français et italiens. On pourrait s’interroger que ce recueil n’ait pas été élargi aux autres supercentenaires dans le monde, comme au Japon, par exemple. L’étude reconnaît néanmoins qu’il y a peu de chance de dépasser les 110 ans. Ils observent en effet une mortalité bien plus fréquente après 108 ans. Vivre jusqu’à 110 ans et au-delà est miraculeux.

Mais les progrès de la médecine pourraient bien rendre l’exceptionnel ordinaire. En mai 2023, l’émission Envoyé spécial (France 2) porte sur le thème « Et si rajeunir devenait possible ? » L’émission n’est hélas plus disponible, mais le débat, reste grand ouvert. Le reportage s’ouvre sur un jour avec Bryan Johnson, milliardaire américain (47 ans) connu pour son combat contre les rides. L’homme refuse de vieillir, et le montre, à grand renfort de compléments alimentaires, régimes révolutionnaires, sport, et suivi médical pointu.

Un biologiste est également interrogé : il s’appelle Greg Fahy, et plaisante sur sa figure jeune malgré son âge. Il a alors 73 ans, mais ressemble à un tout jeune cinquantenaire. Son secret ? Une injonction d’hormone de croissance et de deux autres hormones. Nous n’en saurons pas plus. Le biologiste précise et insiste : il est biologiste, pas nous ! Ce qu’il a fait n’est pas à refaire, et surtout pas par n’importe qui. Greg Fahy était curieux, mais ne pouvait décemment et légalement pas tester sa curiosité sur autrui. Il s’est donc utilisé comme cobaye, et ça a marché. Mais l’opération reste un pari.

Le pari à 100 milliards

Un pari risqué ? Un pari risqué, et coûteux. Des chercheurs et chercheuses sont néanmoins bien déterminés à avancer vers l’immortalité. Reprogrammation du cœur, rajeunissement cellulaire, les idées fusent, avec un objectif : vivre éternellement.

Le 24 octobre 2019, le Courrier international fait sa une avec le thème « vieillir, ça se soigne ». Le journal réserve une longue enquête sur ce thème qui suscite la polémique. Car vieillir, c’est aussi vivre, non ? La vie, n’est-ce pas venir au monde, vivre, et donc vieillir, puis mourir. Pourquoi donc accoler les termes « vieillesse » et « maladie » ?

Vieillir est-il une maladie ?

Dans le manga Barbara, Aoba, l’héroïne, rêve et grandit. Elle grandit dans le monde réel, mais reste jeune. Dans le rêve, elle est encore plus jeune. Ceux qui, dans le manga, courent après la jeunesse éternelle, apparaissant tantôt flamboyants de jeunesse, tantôt raccourcis par la vieillesse. Car physiquement, il s’agit bien de cela : le corps s’affaiblit, se voute, la démarche se fait plus lente, plus hésitante, la peau du visage s’affine, lâche par endroit… il faut aussi parler des gestes, un peu moins précis, de la vision, qui se trouble peut-être. Il faut encore ajouter le vieillissement intérieur, les cellules, les organes, les maladies.

Mais non, non, pas la peine d’aller fouiller dans les organes. Tout serait visible sur la peau. C’est la conclusion d’une étude publiée le 1er avril 2023 dans la revue New Scientist, intitulée « La surprenante vérité sur les rides » (et ce n’est pas un poisson d’avril). Selon l’étude, la peau serait la première porte du vieillissement. En effet, la peau, exposée au soleil, à la pollution, lutte chaque jour pour se maintenir, mais avec le temps, les dégâts deviennent irréversibles.

Cela ne veut pas dire que la peau tombe en lambeaux, au contraire. Les cellules de la peau restent, selon l’étude « métaboliquement actives ». On les appelle les « cellules sénescentes ». Elles devraient être éliminées du corps, mais résistent bien. Hélas, ces championnes de l’endurance auraient la résilience contagieuse… Avec le temps de plus en plus de cellules deviennent sénescentes… et font vieillir le corps.

Attaque contre son camp

Car lorsqu’elles vagabondent hors des cellules, les cellules sénescentes sécrètent, explique l’étude, des « des protéines inflammatoires qui endommagent les cellules et les tissus voisins ». Ces inflammations se répandant dans le corps et provoquent des maladies graves. Pour la neuroscientifique Cláudia Cavadas, le vieillissement extérieur (de la peau) est un signe du vieillissement intérieur. Elle ajoute que les cellules sénescentes peuvent endommager des cellules saines.

Mais l’immunologiste Janet Lord tempère : le lien entre vieillissement de la peau et problème dans le reste corps est plausible, mais difficile à prouver. En revanche, on sait qu’il faut protéger sa peau contre les agressions extérieures. De même, il faut faire tout son possible pour s’entretenir à l’intérieur. Un entretien qui passe notamment par une bonne alimentation et une activité physique régulière.

« Vieillir, ça se soigne »

Mais retournons en 2019, avec le Courrier international et sa Une choc « Vieillir, ça se soigne ». A l’époque, certains pressent l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à définir la vieillesse comme une maladie. L’OMS hésite, doute. La question est d’une complexité sans nom. Car une maladie, ça se soigne, ça se combat. Personne n’accepte la maladie à bras ouverts. Les médicaments sont faits pour soulager la douleur, pour éteindre les symptômes, bref, pour combattre la maladie. Inscrire la vieillesse dans le classement des maladies reviendrait-il donc à combattre les personnes âgées ? Quelles conséquences pourrait avoir le fait de considérer la vieillesse comme une pathologie ?

Les opposants à cette conception rappellent que le vieillissement est un processus naturel. Plutôt que de stigmatiser les personnes âgées, ils recommandent plutôt de leur permettre de vieillir dans les meilleures conditions possibles. Et vieillir bien, vieillir en bonne santé, ça commence dès l’enfance. C’est tout le parcours de vie qu’il faudrait revoir, en repensant l’espace urbain, en luttant contre les déserts médicaux, contre l’inégalité d’accès aux soins, contre l’exclusion sociale, l’inégalité des chances… Vaste chantier qui mériterait bien les quelques milliards injectés dans les labos faiseurs d’éternité.

Le vieillissement fait partie de la vie

Pour sa part, l’OMS a finalement tranché : le vieillissement n’est pas une maladie. L’OMS préfère rappeler qu’il « n’existe pas de personne âgée « type » ». Car oui, avec le vieillissement, le corps change, mais pas forcément en se dégradant. Les possibles changements évoqués plus tôt, la démarche hésitante, la fatigue, les gestes moins précis… ne sont pas une vérité générale, loin de là. De nombreuses personnes âgées sont même plus en forme que des trentenaires…

En quelle année sommes-nous ? En 2019. Et même en octobre 2024, avec la publication de l’OMS sur le vieillissement : « il n’existe pas de personne âgée type », voilà ce qu’elle nous dit. Revenons en 2021. Le professeur Yoshinori Ohsumi poursuit ses travaux qui lui ont valu son prix Nobel de médecine en 2016. Il s’agit de « l’autophagie », sorte de « nettoyage » et de « recyclage » dans la cellule. Ce mécanisme enlève les substances toxiques des cellules, leur permettant de vivre plus longtemps en bonne santé… Imaginez un peu ce procédé appliqué à nos cellules sénescentes… Quelle révolution ! A nous la jeunesse !

« Vive les vieux ! »

Les scientifiques et médecins qui se penchent sur nos rides ne le font pas tous avec la même intention. Pour certains, comme professeur Yoshinori Ohsumi, il s’agit d’aider les personnes à vieillir en bonne santé. Les avancées médicales permettent de combattre les maladies pour que le vieillissement se fasse « bien », en douceur, sans douleur. Le vieillissement n’est donc pas une maladie. On ne combat pas le vieillissement, mais les maladies qui lui sont souvent associées… car on a plus tendance à tomber malade en vieillissant.

Pour d’autres, au contraire, vieillir est le problème. En bloquant le processus de vieillissement, on reste jeune. Car à quoi servirait-il d’avoir des cellules rajeunies de 20 ans si le corps n’en profite pas, y compris sur le plan extérieur ? Nous revoici avec nos rides qui modifient le visage. Des rides qu’il faudrait combattre, avec le vieillissement. Gare à l’âgisme ! Vive les vieux ! C’est le cri d’alerte et l’appel à la prise de conscience lancée par le journaliste Stéphane Laporte, dans un article paru le 18 avril 2020 sur le site du journal canadien La Presse. Ses premiers mots sont une évidence que l’on veut trop souvent oublier. L’avenir, c’est la vieillesse. On vieillit depuis les premiers rots, eh oui. Vieillir, c’est vivre. Pourquoi irait-on combattre la vie ? Améliorer la qualité de vie, oui, bien sûr, allons-y. Jouer avec la vie pour rendre immortel le mortel, ça ne va plus, ça déraille.

Nos sociétés maltraitent nos aînés. Scandales dans les EPHAD, scandales au travail. On leur demande de travailler plus, car ils vivent plus longtemps, mais personne ou presque ne les recrute. On aime afficher ses cheveux gris sur les publicités, et c’est tout. Réveillons-nous. Protégeons l’avenir.

Et le bonheur, dans tout ça ?

C’est pour vivre son bonheur qu’Aoba veut rester entre rêve et rêve, avec son regard neuf et sa jeunesse. Mais à quel prix ?

Le bonheur, peut-on le définir, le toucher, le quantifier ? Certains vous parleront de ces choses qui les rendent heureux. Est-ce cela qu’on appelle « bonheur » ? Faut-il être jeune pour le vivre ? Heureusement, non. Car le bonheur peut être à chaque instant, tout le temps. Mais il peut être aussi bien difficile à vivre, surtout lorsque rien autour de nous n’incite à la joie.

Que faire, si ce n’est attendre un lendemain meilleur, attendre et espérer, pour reprendre les propos du roi de la caverne, Gankutsuou… Attendre et espérer, oui, mais espérer dans le mouvement salutaire, dans l’action positive. Voilà le combat du quotidien. Faire de ce jour, de cette heure, un instant joyeux, au moins un peu. Mais on ne peut pas faire ça. N’essayez même pas, vous n’y arriverez pas.

Alors, que faire alors ? Attendre et espérer. Espérer dans le mouvement salutaire, on se répète, ce n’est pas mauvais. On peut essayer de vivre la joie. Essayer, c’est déjà ça.

Et puis franchement, à quoi bon vivre 200 ou 500 ans ? Même rajeuni de 150 ans ? Même bloqué dans un corps dynamique de 30 ans ? Franchement. 500 ans. Pensez-vous ! Le corps et l’esprit eux-mêmes ne supporteraient plus de pourrir dans la vie. Car il y a un temps pour tout. Un temps pour vivre, un temps pour mourir. Le temps passe. C’est la vie. Vivre, c’est se répéter. La plus grande répétition, c’est la respiration. Saisissons donc la main tendue du bonheur simple, respirons, et vivons. Vive les vieux !

Les sources

Les infos en plus

Barbara, l’entre-deux-mondes, tome 2, éditions Akata

Générique du podcast : Hands of the wind, de Manuel DELSOL

Effets sonores : Tunetank.com ; Zapsplat.com

Crédits images © HAGIO Moto / Shôgakukan

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